« Puis un jour il fallut payer,
La chose alors devint grave,
Moi le malade je persiste à juger ce psychanalyste.
C’est un avide, c’est un rapace (…)
Faux père et vieille faïence, tu mériterais d’être brisé »
« L’économie, une science de l’avidité dont toute mention d’avidité serait bannie ? (…) le problème est que les penseurs font toujours des plans qui ont l’air formidables. Toute fissure qui apparaît est colmatée par un peu plus de réflexion, plus brillante encore et, en fin de compte, le chef d’œuvre de construction rationnelle s’effondre à cause d’un petit détail comme l’avidité dont on n’avait pas tenu compte ».
Sigmund Freud rapportait que l’argent ne rend pas heureux parce que le bonheur est toujours d’essence infantile, et que l’enfant ne fantasme pas sur l’argent. Dans son article de 1917, Sur les transpositions des pulsions plus particulièrement dans l’érotisme anal, il établit l’équivalence symbolique fèces-argent-cadeau : L’enfant ne connaît pas d’autre argent que celui qu’on lui offre, il ne sait ni l’argent gagné ni l’argent personnel hérité ; l’excrément étant son premier cadeau, il transfère aisément son intérêt de cette matière à l’autre. Puis Freud met en évidence les influences libidinales qui prévalent dans les rapports avec l’argent, les liant à la jouissance liée au contenu intestinal et à la mobilisation des trains de matière : La défécation fournit à l’enfant la première occasion de décider entre l’attitude narcissique et l’habitude d’amour d’objet. Ou bien il cède docilement l’excrément, il le « sacrifie » à l’amour pour l’objet total, ou bien il le retient pour la satisfaction autoérotique et, plus tard, pour l’affirmation de sa propre volonté. C’est donc très tôt et sous l’impact de l’éducation qu’il s’oriente vers l’épargne ou la prodigalité.
Avec l’avènement de l’adolescence, certains (futurs névrosés qui hanteront les cabinets des analystes) vont demeurer fixés financièrement à l’âge de la puberté. Leur façon de se dépenser restera encore et toujours masturbatoire.
Mais alors pourquoi, de l’avidité à la cupidité, comme nous le prouvent amplement diverses affaires récentes, l’argent reste-t-il pour l’homme le moteur de toutes les guerres à une époque où le sexe semble être passé de mode ?
Rainer Maria Rilke semble répondre à Winnicott : « Mais pour les adultes, il y a encore à voir surtout comment, anatomiquement, l’argent s’accroît, pas seulement pour l’amusement : l’organe sexuel de l’argent, tout, l’ensemble, le processus – tout ça instruit et rend fécond … »2. Oui, l’argent est bien un organe sexuel. Il n’y a qu’à compter ce que coûtent les nouveaux attributs de la virilité : montres, voitures. Il n’y a qu’à observer en analyse la geste corporelle du paiement des séances pour aussi s’en convaincre : en avoir ou pas… pour son argent… propre ou sale… se faire avoir ou pas ? À force de compter au sou près ce qu’il doit à l’analyste, l’analysant pour qui l’argent est difficile à pondre, ou qui estime que ça ne pousse pas par terre ne risque-t-il pas de n’en avoir toujours que pour son argent ? Mais à force de le dépenser sans compter, quand il le lâche, ou de le jeter par les fenêtres de l’âme (les yeux) à pleins seaux de pleurs, son argent ne vaudra-t-il plus rien et donc ne paiera-t-il rien ?
Ainsi l’argent est bien un organe sexuel qui nous est cher. Mais peut-être pas seulement pour la bagatelle ou la galerie ; n’est-ce pas d’abord parce qu’il peut se mirer en un phallus fécondant ? L’aventure amoureuse ou analytique ne se situe pas toujours exclusivement au-dessous de la ceinture. Juste au-dessus, … le nombril, l’autorité (auteur de) : le cadeau d’argent n’est-il pas surtout le cadeau symbolique d’un enfant ? Que l’on pense là à l’enfant, dans l’adulte qui accepte de donner une partie de son bien, ou que l’on pense, car l’enfant est issu du ventre lui aussi, à l’équivalence donner-faire un enfant où l’érotique anal se lie à l’érotique génital. Que l’on pense enfin à l’enfant d’âme que les deux protagonistes de l’aventure analytique s’autorisent à faire ensemble dans une plus ou moins grande méconnaissance du transfert.
De là, l’importance à accorder dans la vie courante comme en analyse, aux réductions de prix des séances et aux tentatives de corruption. On risque toujours de changer de tranche de vie en fonction du prix négocié pour son analyse, aussi faut-il payer sa séance ce qu’elle vaut, et sans savoir d’avance si elle vaudra ce prix.
L’argent a plus d’une odeur… celles de toutes les humeurs, des larmes, de la sueur, et du sang. De la bile et du foutre. Quand une odeur prédomine c’est celle acide de l’angoisse de celui qui le vole, ou celle de l’argent sale de celui qui corrompt et qui pue dit-on comme le sperme du diable. Dans la poche, l’argent irrite celui qui pressent « s’être fait avoir », contaminé par la toujours grosse monnaie du sexe ou la petite monnaie des sentiments.
Quant à la réponse à donner à l’auteur de l’admirable questionneuse qu’est Zazie… il est clair que la maison accepte difficilement les chèques, autorise un crédit limité, mais ne rembourse jamais. Tant il est vrai que les couples en instance de divorce ne reviennent pas sur la liste des cadeaux qui ont célèbré leurs fiançailles.
Notes
- Coll. NRF Gallimard, Coll. Poésies, 1986.
- Dixième Elégie de Duino.