Introduction et méthodologie
Je dois commencer par expliciter quelques préalables de ma démarche et de ma méthodologie d’approche des œuvres d’art. Dans celles-ci je ne cherche pas à établir des ponts entre l’œuvre et les détails de la vie de l’artiste, c’est plutôt le processus créateur et ce qu’il explore qui m’intéresse.
Je prolonge donc l’hypothèse fondamentale proposée par D. Anzieu dans Le corps de l’œuvre qui met surtout l’accent sur la mise en représentation de processus inconscients, en soulignant que dans le processus créateur (mais c’est sans doute aussi vrai du processus destructeur), une expérience subjective, en reste et en souffrance d’intégration psychique tente de faire retour et de se trouver un dispositif de manifestation voire de symbolisation. L’intrigue centrale de l’œuvre d’art est alors de créer une situation qui va permettre de mettre en scène, dans le présent et l’actuel, le reste d’expérience subjective insuffisamment subjectivée voire restée incréée.
Dès lors une méthode de lecture et d’analyse des œuvres se profile : se mettre à l’écoute des créateurs et artistes pour apprendre d’eux les processus de la mise en scène et de la symbolisation des restes incréés. Chez les plus talentueux d’entre eux, et c’est bien sûr le cas pour celui qui va m’occuper, William Shakespeare, se mêle à cet enjeu premier et majeur, un enjeu annexe, particulièrement actif quand l’expérience en reste comporte des aspects traumatiques importants : la création trouve le moyen dans son parcours d’auto-représenter le processus créateur (ou destructeur) lui-même, elle trouve même dans cette autoreprésentation l’un de ses ressorts essentiels.
C’est souvent le cas chez William Shakespeare, ce qui fait de lui un explorateur du narcissisme et de ses failles, un explorateur et aussi une forme de théoricien des blessures narcissiques primaires, des déceptions premières et des dégâts identitaires qu’elles ont contribué à produire. William Shakespeare a, me semble t-il, et je pense que c’est une raison de son succès toujours aussi vif à travers les temps, de son actualité renouvelée, une aptitude particulière à dégager les traits saillants des effets des blessures narcissiques primaires et ceci autour de trois grands thèmes tressés autour de la « folie » de ses héros : la passion et le fonctionnement passionnel, la vengeance et enfin étroitement intriquée à celle-ci, la jalousie envieuse.
L’étude d’Othello que je propose en contribution au thème de notre rencontre – et donc précisément orientée par ce thème – prend la suite de deux essais antérieurs autour des pièces de William Shakespeare. Le premier présenté oralement à l’Université Lyon 2 dans un dialogue avec Christian Schiaretti, directeur du TNP de Lyon-Villeurbanne, à propos de sa mise en scène du Roi Lear. Le second à partir d’une lecture du « pousse au crime » de Richard III 1.
Othello et son environnement : en guise de problématique
Pour aborder ma réflexion sur Othello dans le cadre du thème de notre rencontre, je partirais d’une question : pourquoi Othello, grand guerrier d’un certain âge et qui a traversé et triomphé, comme la pièce nous l’apprend, de très nombreuses épreuves dans sa vie passée, pourquoi donc Othello se laisse-t-il abuser par le piège, somme toute assez grossier de Iago, et embobiné par celui-ci au point d’en devenir fou ? La jalousie passionnelle que Iago exacerbe chez Othello me semble relever de ressorts complémentaires que ceux de la problématique homosexuelle, bien sûr aussi présente, peut recéler ; Othello aime Cassio tout comme il aime Desdémone.
Ma contribution s’attachera à étudier la fonction de Iago en particulier, mais aussi de Desdémone, comme « environnement » du héros. Mon hypothèse centrale est que William Shakespeare explore l’une des dimensions narcissiques de l’environnement humain, sa fonction « miroir » de soi. Elle s’assortit d’une hypothèse complémentaire qui avance que la question de l’environnement humain doit être abordée à partir de la dialectique qui s’établit entre l’environnement actuel et l’environnement historique infantile intériorisé. Dans le drame pathétique d’Othello, deux formes de l’environnement-miroir s’opposent et s’affrontent : un miroir « au négatif », celui de Iago, et un miroir amoureux, aimant, un miroir « au positif » donc, celui de Desdemone.
Le déroulement de la pièce
Pour ceux qui n’ont pas le déroulement de la pièce immédiatement en tête, en voici rapidement esquissée l’intrigue principale.
À Venise
Othello est un noir, déjà âgé, exilé voire apatride, qui s’est fait « adopter » par Venise en mettant ses qualités de stratège et de guerrier au service de la ville.
Desdémone, fille d’un des grands dignitaires de Venise, et Othello se marient en secret sans l’autorisation de Brabantio, le père de Desdémone.
Iago, Enseigne d’Othello, a décidé de se venger d’Othello car il pense d’une part que celui-ci a séduit sa femme dans le passé (jalousie amoureuse qu’il va distiller à Othello), et d’autre part qu’il aurait dû devenir son lieutenant (déception amoureuse), distinction qui lui revenait pour ses hauts faits d’armes selon lui à la place du beau Cassio qui lui est bien introduit à Venise. Iago aidé de Roderigo, un amoureux éconduit par Desdémone, dénonce à Brabantio le mariage secret de sa fille avec le Maure. Brabantio qui sait que sa fille a refusé nombre de beaux partis de Venise, pense qu’Othello, noir, âgé, « horrible » et même « effrayant » à voir, n’a pu séduire sa fille que par sortilège, il somme sa fille de se prononcer sur ce point. Comme elle déclare publiquement son amour et qu’elle n’a été séduite que par les récits des péripéties de la vie d’Othello, il la renie et même prononce une forme de malédiction que la pièce va mettre en scène : « elle a trahi son père, elle trahira aussi son mari ». Chez le Doge, l’affaire tourne court et à l’avantage d’Othello car Venise a besoin de lui pour combattre les Turcs qui attaquent Chypre alors sous la gouverne de Venise. Othello est envoyé à Chypre, il obtient du Doge que Desdémone, sous la protection de Cassio, le rejoigne par un autre bateau.
La suite se passe à Chypre
Iago piège Cassio, lieutenant et préféré d’Othello, et oblige celui-ci à le destituer de sa place. Il se venge ainsi de Cassio et va l’utiliser pour se venger aussi d’Othello. Il profite de divers détails, dont la perte par Desdémone d’un « mouchoir », cadeau d’Othello (qu’il a lui-même reçu de sa mère), auquel celui-ci accorde une grande importance car il est supposé préserver amour et fidélité, pour intriguer auprès d’Othello et, par allusions et faux retraits, distiller en lui l’idée d’une relation amoureuse entre Desdémone et Cassio. Comme cette dernière, en toute innocence, œuvre et plaide auprès d’Othello pour que Cassio revienne en grâce, Iago utilise cette ambassade pour confirmer les doutes d’Othello. Les derniers doutes de celui-ci basculent quand il voit Cassio détenir le mouchoir donné à Desdémone – et que la femme de Iago a été chargée de lui faire trouver par hasard. Othello, fou de jalousie, persuadé d’être trompé, tue Desdémone puis après avoir compris son erreur se suicide. Iago est aussi tué et Cassio prend la gouvernance de Chypre.
Problématique narcissique d’Othello
Considérons le personnage d’Othello en le traitant, comme la convention de la pièce nous y invite implicitement, comme une personne réelle et tentons de cerner, à partir de ce que la trame de l’intrigue nous indique, ses traits caractéristiques et sa problématique de vie. Il est noir, et de nombreuses répliques de la pièce indiquent un important racisme ambiant dans la Venise de l’époque. Exilé et apatride, Othello ne doit sa faveur qu’aux services militaires rendus à la ville de Venise et à son Doge. Il est âgé et n’est sans doute pas très beau comme le souligne ces diverses répliques : de Brabantio le père de Desdémone : « regarder Othello c’est regarder le diable », « ma fille devrait être effrayée par son visage », ou de Iago qui décrit un « dégoût » et un sentiment « d’horreur » à sa vue.
Les lecteurs attentifs de William Shakespeare ne manqueront pas de remarquer à la description de ces traits corporels une similitude importante avec ceux qu’il prête à son Richard III, espèce de gnome qui n’a pour tenter de séduire les femmes que son abjection– qu’il utilise d’ailleurs très habilement2. Mais à la différence de Richard III qui se voue d’emblée au mal pour se venger des punitions que la nature lui a infligée en le faisant naître sans attrait et nabot, difforme, Othello, lui, cherche l’amour, ou plutôt il cherche la source d’énergie que celui-ci peut lui apporter pour se soigner de ses blessures identitaires. C’est précisément ce qu’il cherche et trouve dans Desdémone qui va lui offrir un miroir empathique, elle pleure sur ses malheurs pendant ses récits, compatit à ses souffrances passées.
Othello (acte I) : « Je l’aimais pour la sympathie qu’elle avait prise aux catastrophes qui avaient frappé ma jeunesse ».
Othello aime Desdémone mais d’un amour fortement imprégné d’une dimension narcissique, Desdémone est un objet d’amour « narcissique », c’est un « objet-miroir » qui à la fois représente une source de vie et d’investissement – Othello dit qu’elle est « la fontaine d’où ma source doit couler pour ne pas se tarir » – une source organisatrice de sa vie et de la cohérence de celle-ci ; la perdre serait « le retour du chaos » (Othello, IIIe acte). Il dépend donc plus ou moins intégralement de Desdémone et du miroir vivifiant qu’elle lui procure, pour sa régulation affective et psychique, donc aussi pour sa régulation narcissique, pour s’extraire du monde de lutte pour la vie et la survie qu’il n’a cessé de connaître avant sa rencontre. Cependant à ce miroir bienveillant et source de vitalité va s’opposer un « miroir négatif » incarné dans la pièce par Iago – et au début de la pièce par Brabantio.
Voici quelques extraits des répliques de Iago adressées :
- à Rodérigo « l’homme aux grosses lèvres » (Othello est noir).
- à Brabantio « le vieux bélier noir qui grimpe sur ta blanche brebis », qui va ainsi produire « des bébés qui hennissent », Othello est un « étalon de barbarie », un « étranger grossier, un maure lascif ». Ou encore « un vagabond étranger sans feu ni lieu ». Il lui inspire « dégoût » et trouve que « quand on le regarde on regarde le diable ».
Et Iago va commencer par casser le miroir amoureux de Desdémone en le retournant en un paradoxe digne du meilleur Groucho Marx3. Si Desdémone a choisi Othello, n’est-ce pas le signe même du fait qu’elle a l’esprit « tordu », alors que se pressait auprès d’elle les plus beaux et meilleurs partis de Venise ?
Le passage mérite d’être cité in extenso.
Iago à Othello (acte III, scène III) : « Oui voilà le point. Ainsi à vous parler franchement, avoir tant refusé de partis qui se proposaient et qui avaient avec elle toutes ces affinités de patrie, de race, de rang, dont tous les êtres sont si naturellement si avides ! Hum ! Cela décèle un goût bien corrompu, une affreuse dépravation, des pensées dénaturées… Mais pardon ! Ce n’est pas d’elle précisément que j’entends parler : tout ce que je puis craindre, c’est que son goût revenant à des inclinaisons plus normales, elle ne finisse par vous comparer aux personnages de son pays et (peut-être) par se repentir. »
Plus loin Iago disqualifie aussi le ressort du charme d’Othello pour Desdémone ce par quoi il avait pu la séduire car pour lui les récits qui l’émouvaient, et sur lesquels elle fondait sympathie et amour, ne sont que « fanfaronnades » et les personnages terribles qu’il dit avoir rencontrés ne sont que « personnages fantastiques » autant dire irréels. Desdémone n’est qu’un miroir tordu, abusé par des mensonges, des illusions, des fallaces.
Pas de révolte chez Othello à l’énoncé de ces attaques critiques terribles et disqualifiantes : « si elle t’aime c’est le signe même de son dérangement » et au delà de Desdémone « il faut être bien dérangé pour t’aimer, c’est vrai de toutes les femmes ». Richard III n’est pas loin, sauf qu’ici c’est du dehors, du « miroir », que lui revient dans l’actuel, la condamnation définitive et radicale.
Pourquoi donc Othello ne se révolte-t-il pas contre ce réquisitoire qui disqualifie l’amour de Desdémone et son propre droit à être aimé malgré qu’il soit noir, apatride et de petite extraction, son droit de triompher de son destin de jeunesse. Là où Desdémone le déclarait aimable d’avoir triomphé de tant de difficultés – « les catastrophes de sa jeunesse » -, là où elle lui trouvait du mérite d’avoir surmonté tant d’obstacles, où elle l’admirait de son courage pour avoir dépassé ses handicaps et blessures d’origine (noir, sans rang, en exil), donc là où elle « cadrait » positivement l’histoire difficile, potentiellement traumatique d’Othello – il s’était retrouvé réduit à l’esclavage à une période de sa vie, avait dû endurer mille difficultés, mille tortures -, Iago, lui, le renvoie à ses blessures anciennes, les rend inéluctables, indépassables incicatrisables.
Les blessures narcissiques premières dont Othello croyait avoir triomphé par sa réussite sociale – il est la référence guerrière pour les Doges Vénitiens – et sa réussite amoureuse, – il a séduit celle qui se refusait à tous -, font un retour dévastateur dans son organisation psychique. Le « miroir » alternatif et réparateur qu’il avait trouvé dans le regard de Desdémone s’ébrèche, se fissure, commence à se briser.
Le mouchoir perdu
Mais il n’est pas encore brisé, Othello ébranlé par l’action de Iago résiste encore, la perte de la confiance et de l’amour de Desdémone lui coûte trop pour qu’il l’abandonne totalement aussi facilement, il y a en lui aussi le reste d’un don maternel qui le tient encore. Le génie maléfique de Iago va devoir s’essayer à détruire ce dernier bastion de confiance et de soutien narcissique. C’est là que l’intrigue du mouchoir va jouer tout son rôle. La mère d’Othello lui a donné un « mouchoir » magique, tressé selon des règles particulières qui lui confèrent le pouvoir de s’assurer de l’amour de l’homme qu’elle chérit pour celle qui le porte. Je souligne ce point particulier et particulièrement intéressant. Le mouchoir ne garantit pas l’amour de celle qui le porte pour l’homme qui lui a donné. Si c’était le cas, sa perte signifierait la perte potentielle de l’amour de la femme, ici l’amour de Desdémone, et au delà l’amour de celle qui l’a donné à Othello, l’amour de sa mère. C’est bien l’amour pour la femme que le mouchoir magique garantit, l’amour d’Othello pour Desdémone, mais aussi l’amour du fils Othello pour sa mère. Le mouchoir semble fonctionner comme une sorte de « fétiche » qui protège celle ou celui qui le porte de la perte d’amour. Bien sûr si Desdémone donne ce mouchoir à Cassio, ce que Iago fait croire à Othello pour exacerber sa jalousie, cela signifie peut-être qu’elle veut ainsi s’assurer de l’amour indéfectible de celui-ci. Encore que cela suppose que le changement de sexe du porteur ne détruise pas son pouvoir magique.
Mais les choses sont sans doute plus complexes et plus condensées. Car en même temps, pour évoquer l’interprétation classique de la jalousie maladive qui s’empare d’Othello, si c’est Cassio qui possède le mouchoir, Cassio, qui l’a toujours aimé et qui ne cesse de demander à Othello de rentrer en grâce auprès de lui, donc de l’aimer de nouveau, se profile une menace homosexuelle pour Othello. Et en se dépossédant de ce mouchoir, Desdémone perd le lien qui la relie directement à la mère d’Othello, elle donne à Cassio l’héritage de ce lien. Desdémone aurait donné à Cassio le mouchoir qui garantit l’amour de l’aimé, amour de Desdémone pour Cassio et/ou amour d’Othello pour Cassio. Le mouchoir-magique donne à Cassio le « pouvoir d’amour » de l’autre, voire de l’Autre, qui donne barre sur lui et son regard sur soi-même.
La perte ou le don du mouchoir-magique condense donc une pluralité de significations potentielles qui semblent venir s’ajouter et se superposer les unes aux autres voire se confuser les unes dans les autres, et par certains côtés les rendre ainsi indécidables.
Pas question donc de trancher le nœud gordien qui tient ensemble cette complexité de motifs, et donne tout son pouvoir supposé au mouchoir, qui suture le clivage qui sépare les deux lignes homo et hétérosexuelle de la jalousie. C’est sur cette fonction de suture qu’occupe le mouchoir-magique, le mouchoir fétiche, que je me propose de terminer ma réflexion. Iago avait agi sur Othello par le pouvoir des mots, mais celui-ci ne saurait être complètement décisif, totalement déterminant. Pour entraîner la conviction d’Othello, il faut aussi un appui sur une représentation-chose, un représentant perceptif, il faut un objet, une vision, qui parle, au-delà des mots, à son fonctionnement psychique profond, à son organisation psychique inconsciente, qui suture la condensation que nous évoquions plus haut. Il faut un objet matériel qui accueille le retour hallucinatoire de ce qui panse les blessures d’origine.
Pour que le miroir d’amour de Desdémone se brise complètement et que le miroir au négatif de Iago assure son emprise sur lui, il faut qu’Othello voit le mouchoir-fétiche et symbole du pouvoir d’amour entre les mains de Cassio. Il lui faut une preuve matérielle, matérialisée, de la trahison de Desdémone, une preuve perceptive de sa destitution. Et c’est pourquoi Iago monte une situation où Othello, caché aux yeux de Cassio, peut observer celui-ci en possession du mouchoir-magique. Dès lors, le miroir ébréché que nous évoquions plus haut, le miroir du regard de Desdémone sur Othello, ce miroir destiné à soigner Othello de ses blessures et « catastrophes de jeunesse », le miroir fissuré se brise et avec lui la raison même d’Othello.
Plus rien ne vient faire barrage au retour traumatique de la souffrance des blessures d’origine, Othello n’a plus de patrie, plus de rang conquis à la force de son épée, plus d’identité, il devient fou de douleur, fou de froideur, incapable d’entendre les ultimes preuves d’amour que Desdémone tente de lui adresser avant de mourir quand elle comprend qu’il va la tuer. La fin, comme souvent dans les œuvres majeures, ne compte guère, il faut bien un épilogue, la messe est dite, Othello se suicide, Iago est tué, Cassio « le fils » prend la place d’Othello, le destin pathétique l’emporte, l’œdipe est consommé.
Il reste encore à remercier William Shakespeare de nous avoir, une fois de plus, et avec grand talent, convoqué à la rencontre avec le destin pathétique d’une impasse des torsions narcissiques. De mon parcours et de la lecture que je propose de sa pièce je retiendrai pour finir, une leçon de métapsychologie concernant la jalousie passionnelle. Elle est faite de jalousie homosexuelle comme Freud l’avait avancé, elle est faite aussi bien de jalousie hétérosexuelle comme l’évidence le laisse pressentir, mais elle est surtout marquée par la condensation des deux, par leur suture quasi hallucinatoire qui entraîne la confusion et son déni dans la conviction qui rendent « fou de jalousie ».
Mais sans doute, au-delà des déceptions amoureuses aussi bien homo qu’hétérosexuelles, la jalousie passionnelle porte la trace non métabolisée des « blessures d’origine », des failles identitaires primaires tôt rencontrées dans les reflets négatifs des miroirs premiers, tapies dans l’ombre des réussites sociales de couvertures et prêtes à ressurgir quand l’occasion se présente, peut-être même en quête de ces occasions de s’actualiser pour tenter de s’intégrer enfin.
Winnicott, dans la ligne de son essai sur La crainte de l’effondrement, aurait peut-être vu dans le meurtre final de Desdémone et le suicide d’Othello, le signe du retour d’une expérience archaïque de non survivance de l’objet et donc, conjointement, de non survivance du sujet.
Notes
- R. Roussillon (2015), La criminalité de Richard II I et la malédiction de l’objet, Le Carnet psy n°191-juillet-août 2015.
- Cf. mon essai sur Richard III déjà cité.
- On prête en effet à ce célèbre Marx Brothers l’affirmation suivante ; « Je n’accepterais jamais de faire partie d’un club qui accepterait des gens comme moi ».