Une recherche-action autour du processus d’annonce de la phénylcétonurie
Dossier

Une recherche-action autour du processus d’annonce de la phénylcétonurie

Entre dispositif de santé publique et retentissements psychiques

« La souffrance est privée, la santé est publique1» Paul Ricœur

En mai 2020, nous avons été contactés par l’équipe d’un centre de référence pédiatrique des maladies héréditaires du métabolisme (MHM) afin de construire un projet de recherche avec eux autour de l’annonce de la phénylcétonurie (PCU) en particulier, et des MHM en général, dans le cadre de l’extension du Programme National de dépistage néonatal prévue par la Haute Autorité de Santé (HAS)2. Malgré une expérience du DNS3 de la PCU longue de cinq décennies, l’équipe remarque, dans le discours des parents des patients, la reviviscence de l’appel téléphonique qui leur a été fait quelques jours après la naissance de leur enfant, comme un temps qui ne cesse pas de ne pas passer.

La mise en place du DNS permet de dépister précocement des nourrissons, mais comme l’écrivait D.W. Winnicott « un bébé seul ça n’existe pas » (Winnicott, 1943). Ainsi, dans les premiers moments de l’annonce, si sur le plan somatique, les patients pris en charge par les équipes sont bien les nourrissons, sur le plan psychique, la réponse mérite d’être plus nuancée. A côté des enfants, il s’agit également d’accompagner leurs parents, face au bouleversement que constitue l’annonce, accueillir leurs questions, leurs inquiétudes, leurs sentiments de honte, de culpabilité ou d’injustice. Ce sont eux qui en premier lieu se trouvent confrontés à l’effroi pur, celui qui n’a pas été préparé par de l’angoisse, et à l’absurde de la maladie héréditaire rare (Korff-Sausse, 1996). Ces éprouvés affectifs complexes témoignent à leur tour des processus psychiques profonds qui s’y déploient, ainsi « l’annonce initiale, celle de la maladie grave menaçant ou limitant la vie de l’enfant, représente un événement potentiellement traumatique pour l’ensemble de la famille, à la fois brutal, imprévisible, menaçant et confrontant chacun des membres à sa propre mort ou à celle d’autrui » (Barbier et Perifano, 2019, p. 94).

Dans un premier temps, nous décrirons brièvement les particularités de la PCU, et du DNS et nous verrons se dessiner la question principale qui conduira notre recherche : comment se rencontrent ou pas, l’expérience subjective de l’annonce de la maladie et les politiques de Santé publique ? Dans un second temps, nous essayerons de montrer comment dans le cadre de cette recherche-action, suite à un travail exploratoire de terrain, dans un échange permanent avec l’équipe et en intégrant d’autres acteurs du DNS – des représentants d’associations de familles – nous avons essayé de traduire quelque chose de la demande initiale en un protocole de recherche réalisable dans le temps limité d’une thèse de doctorat. Enfin dans une dernière partie, nous évoquerons sous forme d’hypothèses quelques-uns des enjeux de la PCU et des effets de sa prise en charge.

HISTOIRE NATURELLE DE LA MALADIE ET QUÊTE DE SON INFLÉCHISSEMENT

La phénylcétonurie (PCU) est une maladie génétique de transmission autosomique récessive. La mutation déclenche l’accumulation d’un acide aminé essentiel dans le plasma et dans le cerveau. C’est une maladie dite d’intoxication. Son incidence en France est de 1/16 000, ce qui la classe parmi les maladies rares4. Elle entraine une altération des fonctions neuropsychologiques selon des mécanismes complexes (Pearson et al., 1990), allant selon certaines études jusqu’à une atteinte de la substance blanche (Anderson et al, 2007). En absence de traitement, outre l’installation de troubles neurologiques graves en association avec un retard mental plus ou moins sévère, on observe une microcéphalie et des risques d’épilepsie. La revue de la littérature relève également des troubles du comportement plus ou moins sévères, des traits autistiques, ainsi que dans certains cas non dépistés une symptomatologie cutanéo-phanérienne avec de l’eczéma ou une dépigmentation (Filière Maladies Rares G2M, 2018).

Les symptômes évoqués étant corrélés au taux de phénylalanine dans le sang, la prise en charge des patients dépistés nécessite le maintien rigoureux de ces taux sanguins dans des valeurs acceptables, par le suivi d’un régime hypo-protidique strict et très contraignant.

Le dépistage néonatal de la PCU se fait au troisième jour de vie, par un prélèvement de sang déposé sur un papier buvard. Ce test est proposé systématiquement à tous les nouveau-nés, généralement par une sage-femme à la maternité, mais il n’est pas obligatoire. Les buvards sont ensuite adressés depuis les maternités vers les laboratoires de dépistage néonatal (Centre régional de dépistage néonatal, CRDN) présents dans chaque région, pour qu’ils y soient analysés. Après leur validation par un biologiste, lorsque les résultats dépassent le seuil d’alerte, les coordonnées des enfants concernés sont transmises à un médecin du service hospitalier compétant le plus proche pour une prise en charge immédiate de l’enfant. Ce circuit explique le délai d’obtention du résultat, habituellement entre le sixième et le dixième jour de vie, quand le bébé et ses parents sont déjà rentrés à leur domicile. En raison de l’urgence de la mise en place du traitement et du contexte d’un bébé à domicile, l’annonce d’un résultat de dépistage suspect et de la nécessité d’une prise en charge médicale urgente ne peut donc se faire que par un appel téléphonique aux parents, alors que ces derniers sont rentrés à leur domicile avec un enfant complètement asymptomatique. Cet appel constitue un véritable bouleversement pour les parents, puisqu’aucun symptôme ne leur avait permis de s’y préparer, les faisant entrer brutalement, eux et leur bébé asymptomatique, dans le champ des maladies (Langeard et al., 2011). C’est tout l’enjeu des tests présymptômatiques qui installent les sujets concernés dans une situation paradoxale où « dans le cas d’un résultat défavorable, la personne se trouve en position de personne en bonne santé, tout en étant menacée par le savoir anticipé d’une maladie et d’un handicap » (Gargiulo et Durr, 2014, p. 54).

Le DNS s’inscrit entièrement dans la perspective de la santé publique, dont une définition assez répandue indique qu’elle « est la science et l’art de prévenir les maladies, de prolonger la vie et de promouvoir la santé et l’efficacité physiques à travers les efforts coordonnés de la communauté pour l’assainissement de l’environnement, le contrôle des infections dans la population, l’éducation de l’individu aux principes de l’hygiène personnelle, l’organisation des services médicaux et infirmiers pour le diagnostic précoce et le traitement préventif des pathologies, le développement des dispositifs sociaux qui assureront à chacun un niveau de vie adéquat pour le maintien de la santé » (Winslow, 1923, cité par Fassin, 2008). Elle vise avant tout à infléchir l’« histoire naturelle des maladies », cartographiant pour chaque maladie la « série de perturbations mineures qui ont indiqué sa présence précoce à ses « pré-formes », de ses indicateurs subtils d’existence à ses manifestations cliniques manifestes, de sa première apparition aux tentatives médicales de modifier son histoire naturelle. […] La pathologie en médecine hospitalière avait été une lésion concrète ; en médecine de surveillance, la maladie devient un point de devenir perpétuel » (Armstrong, 1995, p. 402). F. Worms (2021)1 souligne combien ces programmes nécessaires, mettent au premier plan le collectif, au détriment parfois de l’expérience subjective de la maladie. Et c’est là que se trouve l’enjeu de cette recherche, au croisement du savoir médical sur l’évolution d’une pathologie non-traitée, l’existence d’un traitement et la temporalité et les enjeux psychiques des patients et de leurs parents.

Aujourd’hui, en France, le choix des maladies dépistées par le DNS relève de la haute autorité de santé (HAS) et dépend : a) d’une part, de l’observance de critères de dépistage adaptés de ceux de Wilson et Jungner, qui stipulent que le dépistage doit représenter un bénéfice pour le patient, bénéfice qui repose sur l’existence d’un test fiable en période présymptomatique et d’un traitement préventif (ce qui n’est pas tout à fait juste pour la mucoviscidose), et b) de considérations médicales, sociales et économiques.

Le médecin référent va devoir intervenir à deux niveaux (Abadie et al, 2005) : a) sur le plan diagnostique pour confirmer ou infirmer le diagnostic de phénylcétonurie, par des tests biologiques supplémentaires ; b) sur le plan thérapeutique, pour annoncer ce diagnostic aux parents. Ainsi le professionnel devra : « en toute clarté et réassurance, leur expliquer les mesures thérapeutiques et les éduquer à la prise en charge et à la surveillance de leur enfant (p. 595) ». Or, dans la réalité de la clinique les choses s’avèrent être plus complexes. Des études récentes relèvent un paradoxe intéressant : en parallèle à l’extension du DNS à de nouvelles maladies, le taux de parents refusant que leur enfant en bénéficie est en constante augmentation6.

L’infléchissement de l’histoire naturelle de la maladie, suite au dépistage, n’est pas sans conséquences, ni pour le patient ni pour le médecin. Malgré l’annulation des manifestations de la maladie somatique, des études sur la santé mentale des patients attestent la persistance d’une diminution de l’estime de soi, et de symptômes anxieux (Smith & Knowles, 2000 ; Sullivan, 2001 ; Koch et al., 2002 ; Brumm et al., 2010). De la même manière, des parents de jeunes patients témoignent d’une diminution de la qualité de vie (Fidika et al., 2013). Plus récemment, Carpenter et al (2018), dans une recherche sur le vécu de la parentalité ont remarqué dans le discours des parents rencontrés la présence de thèmes autour de l’acceptation de la maladie, du contrôle et de leur lutte pour que leurs enfants puissent mener une vie « normale ». Un peu comme si les manifestations pathologiques -que le DNS et la prise en charge précoce tentent d’annuler- faisaient retour.

DE LA DEMANDE DE L’ÉQUIPE À UN PROTOCOLE DE RECHERCHE-ACTION 

La demande

En effet, comme le précise Joëlle Vailly,7 si le DNS permet d’intégrer les jeunes enfants dans les politiques sanitaires, dans leur pratique, les équipes médicales chargées d’annoncer les maladies dépistées, puis de la confirmation du diagnostic, sont confrontées à l’intégration des parents dans l’application de ces mêmes politiques.

Ainsi, malgré le bon pronostic permis par le DNS, et par la mise en place précoce du régime, les équipes remarquent que l’annonce de la suspicion dans le contexte d’urgence déjà évoqué, est vécue de manière douloureuse voire traumatique par les parents. C’est ce que confirment les résultats de l’étude pilote menée en 2012 par des cliniciens issus de 5 centres de référence des MHM. Cette étude rétrospective réalisée auprès de 161 familles ayant reçu l’appel entre 1 à 42 ans auparavant, a mis en évidence le caractère traumatique de l’appel du fait du contexte extrêmement difficile précédemment évoqué : appel par un médecin issu d’un service hospitalier spécialisé que les parents ne connaissent pas, retour à domicile de la famille sans aucun signe clinique n’ayant permis d’anticiper un tel appel. La majorité des parents interrogés déclaraient avoir ressenti de l’angoisse, de la tristesse, de la colère, de la sidération, de l’inquiétude et de la culpabilité, au cours et après l’appel téléphonique. Ressentis, qui avaient tendance à diminuer après la première rencontre avec le médecin, d’où l’importance des premiers mots prononcés lors de l’appel, qui vont laisser une « empreinte indélébile » (Giraudet-Le Quintrec, 2010) dans le vécu et dans la mémoire des parents. L’étude a également relevé la présence de troubles du sommeil, de la concentration, de l’appétit, de douleurs et des manifestations d’irritabilité.

Le temps de l’annonce téléphonique est donc un événement traumatogène – au sens de ce qui fait évènement – dans la vie des parents.

C’est dans le prolongement de cette étude, en mai 2020 dans le cadre de l’extension imminente du DNS à une autre MHM8, que l’équipe décide de faire appel à nous pour améliorer la procédure d’appel. Différents échanges avec l’équipe nous ont rapidement fait réaliser combien la mise en « doute » (lapsus d’une collègue qui voulait parler de la mise en route) de ce nouveau dépistage était source d’angoisse et d’incertitude chez les cliniciens. Notre premier travail a d’ailleurs été de résister à la tentation de répondre immédiatement à cette forte angoisse dans l’équipe.

La demande manifeste de l’équipe était donc, dans un premier temps, focalisée sur ce que nous avons volontairement appelé le « premier temps » de l’annonce, en référence à E. Zucman (2014) : comment rendre cet appel « le moins traumatique possible » pour les parents ? De nombreuses études (Schoen et al, 2002 ; Prosser et al, 2010) soulignent les avantages incontestables du DNS en termes de diagnostic et de prise en charge des anomalies génétiques, mais attestent également de la nécessité, dans le cadre de l’extension de ce dépistage particulier de prendre en compte l’impact psychologique de l’annonce de ses résultats (Moody et al., 2017). Ces mêmes auteurs soulignent que malgré l’existence de guidelines théoriques concernant les procédures d’annonce, il n’y a pas aujourd’hui d’un centre à l’autre, d’un service à un autre, voire d’un clinicien à un autre d’harmonisation des pratiques comme le recommandent les successifs Plans Nationaux Maladies Rares (PNMR). Ainsi une autre demande de l’équipe a été de réfléchir à ce souci d’« harmonisation des pratiques » et la rédaction d’une procédure de bonnes pratiques à destination des médecins annonceurs, dans le but d’adoucir l’annonce faite aux familles. Un peu comme si après avoir réussi à annuler les manifestations physiques de la PCU chez les patients atteints, les médecins souhaitaient également en annuler le bouleversement psychique chez les parents.

Après avoir résisté à la tentation de venir apaiser rapidement l’angoisse de l’équipe, notre travail a été un travail d’écoute afin d’essayer d’entendre ce qui pouvait s’élaborer autour de cette angoisse de « mal faire » ou de « mal dire ». C’est ce travail d’écoute, ainsi qu’une recherche exploratoire menée sur le terrain clinique, qui nous a permis d’opérer un premier déplacement par rapport à un protocole initial de recherche et d’essayer de proposer une réponse à ces demandes tout en y apportant un « décalage ».

Une recherche-action pour reconnaître la demande

Notre recherche s’inscrit dans le champ de la recherche-action. Apparue dans un premier temps dans le champ de la sociologie, la recherche-action « articule une logique de recherche pour produire du savoir et une logique d’action pour agir, modifier et améliorer une situation ou une activité » (Bouvet et Battin, 2021, p. 117). Notre recherche est ancrée dans le terrain qu’elle vise à la fois à comprendre et à décrire mais aussi à modifier, ici par l’amélioration du processus d’annonce.

En ce sens et dès le début de notre recherche, nous avons travaillé de concert avec l’équipe que nous avons élargie aux psychologues et aux diététiciens qui jouent un rôle fondamental dans la prise en charge des patients mais également dans le soutien quotidien apporté aux parents. Si comme le souligne C. Bouvet et C. Battin (2021), la recherche-action en santé mentale est avant tout utilisée dans un souci d’amélioration des pratiques professionnelles, une attention de plus en plus importante est accordée à ses usagers. C’est dans ce même souci d’accorder au savoir expérientiel des parents d’enfants atteints toute la place qu’il mérite, que nous avons fait le choix d’intégrer les représentants d’associations de familles de patients à cette recherche.

TRADUCTION ET TRANSFORMATION DE LA DEMANDE INITIALE

La métaphore de la traduction (Ayouch, 2009) nous semble la plus pertinente pour décrire les transformations que nous avons proposées à l’équipe et pour penser le cheminement qui a été le nôtre entre la demande initiale et le protocole de recherche que nous leur avons soumis. Mais la traduction dont il sera question ici, n’est pas encore interprétation, ce qui comporterait un risque de dogmatisme et de ne plus rien entendre de ce qui se joue dans l’espace offert justement par la traduction. Il s’agirait du premier sens de la traduction telle que Freud la décrit dans l’interprétation du rêve, il s’agit donc davantage d’une mise au jour des différentes représentations latentes de tous ces inconscients que constituent les différents acteurs du DNS et qu’il s’agit de mettre en lien, davantage que de les considérer comme des signes qu’il s’agirait d’interpréter. Un travail donc de transformation et liaison, dans un univers hospitalier et un contexte, où la menace de déliaison est plus que jamais présente.

La traduction dans sa version plus linguistique permet également de penser les rôles de chacun ; équipe, chercheurs et patients un peu à l’image de ceux qu’occupent l’auteur, le traducteur et le lecteur. Et de la même manière que le traducteur ne doit pas céder à la tentation de la fausse transparence qui prétend effacer son identité (de Carlo, 2006), les chercheurs que nous sommes ne doivent pas non plus céder à la fausse tentation de prétendre effacer notre subjectivité. Subjectivité qui devra être prise en compte et analysée dans l’interprétation des résultats finaux de notre étude.

La transformation, enfin comme la traduction, comporte toujours le risque d’une perte, mais elle est également l’occasion d’un espace qui offre le petit décalage dont nous avons parlé plus haut, l’occasion d’un déplacement là où certaines choses semblaient figées ou fixées. Nous allons maintenant essayer de décrire ces petits déplacements que nous avons tenté d’opérer suite à la traduction – aux transformations – de la demande initiale.

De la procédure au processus

Notre recherche exploratoire a permis de mettre en relief la difficulté, pour certains des médecins en tout cas, à respecter une procédure existante et rédigée sous forme de « boîte à outils ». Cette procédure comprenait une grille de mots à dire et une autre de mots à éviter. En effet, si pour certains cet outil se révèle être une aide, pour d’autres il est vécu comme un frein à leur spontanéité et selon les dires d’un médecin c’est lorsqu’elle suit cette grille « qu’elle perd toute spontanéité, dit n’importe quoi et qu’elle gâche tout ».

Cette expérience inattendue du vécu de l’annonce du côté des soignants, nous a amenée à réfléchir à la demande initiale de procédure à suivre : ce qu’il faudrait dire, ce qu’il ne faudrait pas dire, et à infléchir cette même demande initiale centrée dans un premier temps sur l’unique vécu des patients, pour nous interroger et les amener à s’interroger avec nous sur leur propre vécu de l’annonce.

La première transformation a donc été de réfléchir à la différence qui existe entre « procédure » et « processus ». Nous pensons qu’un des effets de notre recherche est et sera, d’amener les équipes à se détacher de la procédure : procédure d’appel, procédure d’annonce… pour aller progressivement vers le processus. Processus dans le sens où l’entendent Barus-Michel et Giust Desprairies (2000), à savoir : « les modalités selon lesquelles les sujets tissent, dans le temps, des matériaux saisis, proposés, imposés par les différents systèmes et registres, ceux qui les traversent ou se croisent en eux : systèmes culturels, symboliques, imaginaires, fonctionnels et qui fournissent des contenus à intérioriser, des normes et des modèles de conduite, des idéaux, des mythes, des représentations, des logiques sociales » (p. 24). Le dégagement des processus est cette mise au jour des articulations propres aux sujets et à leur expérience, considérée dans sa temporalité propre et contextualisée.

D’une temporalité à une autre

Ce dégagement de la procédure vers le processus, nous permit en nous éloignant de la tradition médicale qui tendait à considérer que l’annonce était un événement isolé, d’élargir la conception de l’annonce initialement réduite à l’appel, à une conception plus large comme un processus en la considérant justement dans sa temporalité.

La temporalité est également ce qui distingue politique de Santé Publique et souffrance subjective. En effet, comme le souligne F. Worms, là où la prévention est « en avant » et « collective » ; la souffrance psychique liée à la maladie est « maintenant » et « individuelle ».

Ainsi comme le décrit un père au sujet d’une autre pathologie « Ce n’est pas une annonce mais une série d’annonces » (Giraudet-Le Quintrec, 2010, p. 223).

Cette prise en compte de l’annonce non plus comme un événement réduit à l’appel, nous fait faire le choix méthodologique, en accord avec l’équipe, de suivre les effets de l’annonce sur le vécu des parents d’un mois après l’annonce, jusqu’à 9 mois après celle-ci.

De la même manière, et prenant en compte tous les acteurs du DNS, nous avons fait élargir notre recherche au premier temps du dépistage, celui qui a lieu à la maternité. Ainsi, nous allons rencontrer des sages-femmes qui n’ont pas forcément conscience en pratiquant le test de dépistage, d’inaugurer un processus qui sera important pour les parents d’enfants dépistés positifs et pour la vie de leur enfant. Cette recherche nous permettra d’une part d’explorer les façons dans lesquelles le dépistage est proposé aux parents et d’une autre les souvenirs des parents autour de ces propositions.

D’un tableau psychopathologique à l’étude du vécu des parents et soignants autour de l’annonce

Nous l’avons évoqué plus haut, à l’instar de ce qui s’observe dans le champ de la santé mentale (Bouvet et Battin, 2021), le champ de la santé somatique tend à prendre davantage en compte le vécu des patients. C’est dans ce sens que nous avons proposé une autre transformation de la demande initiale de l’équipe. En effet, là où l’équipe nous demandait de réfléchir à un protocole moins traumatogène, nous avons essayé d’élargir la question de recherche initialement centrée sur le traumatisme, qui est une catégorie psychopathologique et psychiatrique tout à fait pertinente, au vécu et à l’expérience singulière des parents. Cette transformation a impliqué de réduire, tout en en conservant, l’importance accordée aux questionnaires psychométriques au profit d’entretiens qualitatifs en profondeur.

Il a été décidé aussi d’élargir la recherche au vécu des médecins annonceurs. Et à nous poser la question de pour qui cette annonce était-elle traumatique ? Ainsi nous avons fait évoluer la demande initiale à partir des nouvelles données issues de la phase exploratoire de la recherche. Nous avons mené des entretiens exploratoires auprès de 3 médecins annonceurs, d’âge et d’ancienneté différentes : une cheffe de clinique et deux médecins séniors. Chacun a pu nous parler de son vécu par rapport à l’annonce, leur manière de se préparer, leur manière de dire ou de ne pas dire d’emblée le nom de la maladie, le recours ou non à la fameuse « boite à outils ». L’analyse de ces entretiens, nous a fait entendre, que peut-être, l’annonce telle qu’elle était envisagée actuellement n’était pas « traumatique » que pour les parents. Si peu d’études se sont intéressées au vécu de l’annonce et de ces effets sur la parentalité, sur la mise en place de la relation parents-enfant, on relève encore moins d’études sur le vécu des équipes soignantes. Langeard et al (2011), à travers l’expérience de la généralisation du DNS de la mucoviscidose, se sont intéressés à la manière dont celui-ci entraine des modifications profondes dans la pratique des médecins qui « n’interviennent plus auprès d’individus malades, mais sont amenés à faire de la prévention auprès de populations présymptomatiques » (p. 82), et à mis à jour que la blessure narcissique est également présente du côté des soignants, lesquels, dans le cas des maladies héréditaires sont mis à mal dans le fondement de ce qui constitue leur vocation : guérir. Eux aussi, doivent faire avec l’« absurde » (Korff-Sausse, 1996) et l’incertitude de la maladie et du handicap. Afin d’étudier le vécu des médecins annonceurs, la recherche a été élargie au recueil et à l’analyse du vécu de 15 praticiens issus des différents centres de référence et de compétence des MHM.

Mise en place du lien parents-enfant : d’une préoccupation à une autre

Les entretiens exploratoires ainsi que la revue de la littérature, nous ont également convaincus d’élargir l’étude de l’annonce d’une MHM – dans le cadre du DNS – à d’autres dimensions communes aux maladies dites d’intoxication et à régime : a) le caractère asymptomatique du nourrisson, b) la transmission génétique autosomique récessive de la maladie qui fait, dans certains entretiens, apparaitre le fantasme de la mauvaise rencontre, c) la dimension de la rareté de la maladie, d) la dimension de l’invisibilité de la maladie liée à l’annulation de ses manifestations physiques et qui contraste avec l’hyper-visibilité du régime et son omniprésence, e) la dimension de la chronicité de la maladie.

Les médecins ne font pas qu’annoncer le résultat d’un dépistage d’envergure national, ils confirment un diagnostic, ils énoncent un pronostic et prononcent, telle une sentence une « nouvelle allure de vie » (Canguilhem) pour les enfants dépistés et pour leurs familles. Les entretiens exploratoires menés auprès des médecins annonceurs, ont montré qu’il leur est beaucoup plus difficile d’annoncer une PCU (dont le pronostic vital n’est pas engagé, mais nécessite un régime contraignant à vie) qu’un déficit en MCAD où le risque de coma et le risque cardiaque sont bien présents, mais qui ne nécessite aucun régime particulier si ce n’est, ne pas observer un temps de jeûne trop long dans les premières années de vie de l’enfant.

Il ne saurait être possible dans le cadre de cet article de développer chacune des hypothèses suggérées par l’analyse des entretiens exploratoires, mais nous nous contenterons d’évoquer ici que la prise en charge des enfants diagnostiqués atteints d’une MHM, dans le contexte du dépistage néonatal, implique, à côté de la « préoccupation maternelle primaire » décrite par D.W. Winnicott (1956), une autre préoccupation, la « préoccupation médicale primaire » (Druon, 2012). Issue des études sur les grands prématurés, nous pouvons entendre cette notion de deux manières : à la fois comme la préoccupation de l’équipe à l’attention du nouveau-né, mais également comme la préoccupation des parents, qui se médicalise et dont les investissements sont parasités par les exigences de soins nouveaux liés à la découverte de la pathologie. L’attention des parents n’étant plus centrée sur l’expérience « naturelle » de faire connaissance avec ce nouveau-né envisagé, fantasmé… mais sur la vérification constante de son bon développement, sur l’apparition éventuelle des manifestations repérées sur un site internet, sur la balance dont le bon fonctionnement est le garant d’un juste dosage de la préparation du biberon, sur les taux d’acides aminés. Comme le décrit C. Druon, la relation parents-enfant « d’emblée marquée du signe de la pathologie, des soins » (p.140) est d’emblée une relation parents-enfant-équipe soignante. A côté de ce tiers « équipe soignante », la maladie fait également tiers.

Il n’est pas rare, dans l’analyse des entretiens exploratoires d’observer que dans le discours de certains parents, le nourrisson disparait entièrement derrière la maladie. Nous avons voulu comprendre les effets de cette tiercéisation, investiguer les représentations que les parents ont de leur enfant, ainsi que de décrire et comprendre les effets de l’annonce de la PCU sur la mise en place de la relation parents-enfant. Contrairement à ce qui peut s’observer pour les prématurés, on n’observe pas dans les premiers entretiens une absence de rêverie mais plutôt une rêverie en « négatif », en noir et blanc, à laquelle les entretiens, en permettant que s’élaborent les mouvements psychiques conscients et inconscients de ces nouveaux parents, semblent redonner un peu de couleur et un peu de sonorité.

POUR CONCLURE

Nous aimerions revenir sur ce très beau lapsus de la « mise en doute ». Comment aider les équipes à faire avec ce malentendu, avec le contingent, leurs incertitudes, avec ce qui n’est pas prévu par le protocole mais avec ce qui advient dans la réalité clinique ?

Comment aider les équipes à passer de la fixité en apparence rassurante de la procédure à la souplesse plus incertaine du processus, en s’appuyant pourquoi pas sur l’expérience du doute ? Comment accepter de faire avec l’acte difficile de l’annonce d’une mauvaise nouvelle qui comporte toujours le risque de « mal dire » ou de « mal faire », et surtout de « faire mal » (Le Coz, 2006, p. 31), mais qui comporte également la surprise de l’inédit ? Risque que l’on retrouve dans le discours des parents interrogés et qui eux aussi craignent de « mal annoncer » la maladie et le régime à leur enfant quand il sera en âge de le comprendre ? Ou chez ces autres parents qui redoutent de « mal faire » avec le régime ? Et si c’était sur le terrain d’un doute partagé que soignants, patients et peut-être nous chercheurs en sciences humaines pouvions tous nous rencontrer et envisager le doute comme un espace de rencontre et de co-construction de la pensée et du lien ?

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Notes

1 Ricœur P. (1996). Préface au code de déontologie médicale, introduit et commenté par Louis René. Paris, Seuil, coll. « Points Essais », p. 21.

2 Les maladies dépistées actuellement par DNS sont : la phénylcétonurie, l’hypothyroïdie congénitale, l’hyperplasie congénitale des surrénales, la mucoviscidose (et la drépanocytose pour les populations à risque). Et depuis le 1 décembre 2021, le déficit en acétyl-CoA déshydrogénase des acides gras à chaîne moyenne ou MCAD.

Au dernier trimestre de 2022, 7 nouvelles pathologies seront dépistées : la leucinose (MSUD), l’homocystinurie classique (HCY), la tyrosinémie de type I (TYR-1), l’acidurie glutarique de type 1 (GA-1), l’acidurie isovalérique (IVA), le déficit en déshydrogénase des hydroxyacyl-CoA de chaîne longue (LCHAD), et le déficit primaire en carnitine (CUD).

3 Dépistage Néonatal Systématique

4 En France, une maladie est dite rare lorsqu’elle touche moins d’une personne sur 2000.

5 Worms F. (mars 2021). Conférence : « Sur la méthode de la philosophie clinique ». Séminaire de Philosophie Clinique de la Chaire de Philosophie de l’Hôtel Dieu.

6 Données issues du rapport d’activité du Programme National du Dépistage Néonatal, publié en 2020 par le Centre National de Coordination du Dépistage Néonatal.

7 Vailly J. (2011). Naissance d’une politique de la génétique : Dépistage, biomédecine, enjeux sociaux. Paris : Presses Universitaires de France.

8 Dépistage du déficit en acétyl-CoA déshydrogénase des acides gras à chaîne moyenne (MCAD)

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Handicap et vie psychique