Dans son enquête passionnante, Le Sexe des Modernes, Eric Marty retrace l’histoire complexe de la pensée du genre, résultat d’influences multiples entre l’Europe et l’Amérique
Carnet Psy : Vous débutez votre livre par cette phrase : « Le genre, gender, est le dernier grand message idéologique de l’Occident envoyé au reste du monde ». Qu’entendez-vous par là ?
Eric Marty : L’Occident est structuré par une disposition presque originaire à produire des messages à vocation universelle. Mais il faudrait ajouter que l’époque donne à cette universalité une tonalité émancipatrice particulière qui ouvre à une nouvelle tradition, la tradition de la rupture. La question du genre entre pleinement dans cette tradition et en reprend les procédures : faire reposer la force du signifiant nouveau, porteur de la rupture, sur un savoir, ce que Foucault appelait une épistémologie. La puissance de retournement des imaginaires que le signifiant genre véhicule s’appuie sur ce processus. Un mot a pris la place d’un autre, le « genre » a délogé le « sexe » comme qualificatif de nos identités et du coup nos identités ne veulent plus dire la même chose… Un savoir nouveau gouverne...
Le genre suscite néanmoins des oppositions et des réactions violentes …
Cette « conquête du monde », qui n’est évidemment pas à l’abri de réactions très violentes, voire de défaites, j’ai pu l’éprouver de manière très concrète récemment par un simple « détail » : ayant eu à remplir des papiers administratifs pour un projet universitaire avec la Chine, j’ai pu constater les effets de cette hypothèse en notant que la case à cocher pour m’identifier comme sujet masculin était sous la rubrique « gender »…