Delinquere
Éditorial

Delinquere

De tout temps, la jeunesse a été perçue comme dangereuse ou dépravée. L’adolescent, depuis qu’il a été reconnu socialement et sur le plan psychopatho-logique, fait les frais au niveau individuel de cet ostracisme. L’enfant, jusqu’alors avait été préservé. De son innocence originelle, Freud l’avait fait descendre de son piédestal en découvrant la sexualité infantile, et en le qualifiant de pervers polymorphe. Actuellement, il s’agirait de repérer en lui un futur pervers, forme contemporaine de la délinquance. Linquere signifie laisser quelqu’un ou quelque chose à sa place, le « de » marque la séparation. Le délinquant est celui qui déloge les choses ou se déloge de la place qui lui est assignée par la société. Pourtant l’enfant était épargné jusque-là, entre autres grâce à un des derniers interdits sexuels qui subsiste dans nos sociétés, celui de l’interdit de la pédophilie.

Les étudiants et les lycéens viennent de montrer comment ils peuvent s’opposer sans devenir des délinquants, alors qu’on tentait de les enfoncer vers un peu plus de précarité. La violence institutionnelle est rarement remise en question, et pourtant, elle est à la source de l’agressivité ou de la violence du sujet, à l’instar de ce que nous voyons se développer au niveau intra-familial. La prise en charge précoce des symptômes est la règle chez tous les praticiens, mais ce qui nous est demandé : dépister les futurs délinquants dès la maternelle relève d’une escroquerie intellectuelle, et n’est pas en adéquation avec nos pratiques et notre éthique. La psychiatrisation de la différence, de la colère, ou de la psyché humaine est le rêve de certains scientistes relayés très vite par les politiques. Signes des temps ou annonciateur d’un avenir informatisé du sujet ? Gageons que nous pourrons, par la garantie de la validité de nos pratiques continuer à entendre et enrayer la souffrance et les symptômes des enfants et des adolescents, sans recourir à la technologie classifiante et dépersonnalisante, à la pharmacopée abrutissante, mais essentiellement par l’écoute et la parole pour rendre ainsi les enfants et les adolescents auteurs de leur vie à venir.