Le voile de l’abus
Éditorial

Le voile de l’abus

L’affaire Dutroux, ses affiliations maffieuses avec le grand banditisme, par ce qu’elle véhicule de crime soulève indignation et horreur. Un premier voile est levé : l’indignation publique parle et la justice agit. Apparaît alors une seconde scène, plus cachée, mais qui joue son texte, toujours le même, depuis longtemps. C’est celui de la pédophilie « au quotidien », celle qui sévit dans les grands établissements éducatifs, dans les écoles, dans les centres de vacances. De cette seconde scène, l’indignation publique parle et la justice doit agir. Mais il existe une troisième scène et celle-ci nous concerne tous. Scène cachée, enfouie en chacun de nous. Et cette scène-là, contrairement aux deux premières, n’est pas celle du réel. C’est celle qu’a découverte Freud avec les premières hystériques qu’il a soignées, c’est celle dont il a peu à peu mis en doute la réalité pour en dégager l’universalité fantasmatique. En un mot, la scène de la sexualité infantile. Sur cette scène, le rideau opaque de l’amnésie s’est tiré. C’est celle que les psychanalystes remettent en lumière. Il ne s’agit pas de sous-estimer la réalité de l’abus, de l’inceste. Il s’agit de reconnaître dans notre clinique la réalité du fantasme d’abus. De reconnaître que même si l’abus est effectif, il résonne sur le désir infantile oedipien, que lorsque le doute est présent, il se nourrit de l’ambivalence et de la fantasmatique de l’enfant, des parents, du psychanalyste. Ce dernier, s’il renonce au rôle d’auxiliaire de justice peut alors entendre la souffrance de l’enfant et celle de ses parents. Et s’il faut tant de luttes cachées, tant de mots étouffés, tant de silences hurlants, tant de temps pour que l’on entende la réalité des abus sexuels, n’est-ce pas parce que pour chacun d’entre nous le voile de l’amnésie est tombé sur nos propres fantasmes oedipiens?