Diagnostiquer et traiter un tdah en pédopsychiatrie. Vers un changement de perspective outre-Atlantique ?
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Diagnostiquer et traiter un tdah en pédopsychiatrie. Vers un changement de perspective outre-Atlantique ?

La prise en charge psychothérapeutique et médicamenteuse du trouble du déficit de l’attention ou avec ou sans hyperactivité (TDAH) chez l’enfant demeure une question polémique dans la pédopsychiatrie contemporaine. Dans le prolongement du dossier que nous lui avons consacré en octobre dernier (n° 273) et à l’occasion de la parution, dans les colonnes du New York Times du 13 avril 2025, de l’enquête de Paul Tough intitulée « Have We Been Thinking About A.D.H.D. All Wrong ? », Le Carnet Psy donne la parole à deux pédopsychiatres sur cette question incontournable pour tous les professionnels de l’enfance. Dans cet article, Manel Naït Mazi reprend les points forts de l’article de Paul Tough et questionne très utilement la pertinence clinique de l’usage prolongée de méthylphénidate (de type Ritaline®) chez l’enfant ; Paul Denis complète cette présentation par un commentaire psychopathologique réaffirmant l’importance d’une continuité précoce dans le développement psychique de l’enfant et d’une approche psychothérapeutique véritable dans le traitement du TDAH.

Le trouble du déficit de l’attention avec ou sans hyperactivité (TDAH) est un trouble décrit comme « neurodéveloppemental » qui se manifeste par l’incapacité des enfants à se concentrer, à contrôler leurs impulsions et à gérer leur niveau d’activité. Défini dans le DSM-5, il repose sur des critères comportementaux, mais est souvent abordé sous un prisme biomédical, avec une place centrale accordée à la médication. Si le diagnostic du TDAH est largement accepté dans de nombreux pays, il demeure controversé, notamment en France et aux États-Unis où des voix s’élèvent pour remettre en question sa définition, son évaluation et ses traitements. Dans cet article documenté – publié dans The New York Times du 13 avril 2025 – Paul Tough, journaliste spécialisé dans les sujets liés à l’éducation et à la parentalité, questionne la manière dont le TDAH (ou ADHD en anglais) est diagnostiqué et traité, particulièrement aux États-Unis, où il fait partie des diagnostics les plus fréquents en pédopsychiatrie. Depuis les années 1990, la  prévalence du TDAH a fortement augmenté (aux États-Unis : 3 % au début des années 1990, 6,6 % en 2000 et 11,4 % en 2024). Cette hausse soulève des interrogations sur les critères de diagnostic et les pratiques associées, notamment la prise en charge principalement centrée sur la médication (psychostimulants tels que le méthylphénidate).

L’auteur s’appuie sur les résultats de l’étude MTA (Multimodal Treatment of ADHD Study), menée par le National Institute of Mental Health, qui avait mis en évidence en 1999 l’efficacité à court terme du traitement médicamenteux (amélioration marquée des symptômes pour le groupe ayant pris du méthylphénidate, par rapport à celui ayant suivi une approche non pharmacologique, comme la guidance parentale). Cependant, une donnée essentielle souvent négligée est que, après 36 mois, les bénéfices de la médication s’estompent et les enfants traités pharmacologiquement ne se différencient plus significativement des enfants du groupe témoins, non traité. De plus, un retard de croissance est constaté, en moyenne, chez les enfants du groupe traité, avec une moyenne de 2,54 cm de moins que dans le groupe témoin. Cette observation du manque d’efficacité à long terme, pourtant connue depuis deux décennies, n’a apparemment pas modifié les pratiques médicales dominantes, particulièrement aux États-Unis et même en France, où la prescription médicamenteuse reste largement répandue. En outre, bien que les effets comportementaux « problématiques » puissent être rapidement corrigés de manière spectaculaire grâce à la médication, la capacité réelle d’apprentissage et de résolution de problèmes ne semble pas améliorée. Ces observations, issues de l’étude MTA, sont corroborées par d’autres recherches récentes (Bowman & Coghill, 2023 ; William Pelham Jr, 2022). Par conséquent, le méthylphénidate ne semble pas améliorer les capacités cognitives ni les performances académiques, comme cela est souvent supposé.

Dans son article, Paul Tough critique également l’absence de preuves scientifiquement validées concernant les biomarqueurs du TDAH, ce qui remet en question certaines hypothèses sur son origine biologique. Des recherches comme celles menées par le consortium ENIGMA, qui a analysé les scanners cérébraux de 4 000 sujets, n’ont révélé aucune différence significative dans la matière cérébrale des patients atteints de TDAH par rapport au groupe témoin. Il n’existe ni gène spécifique ni activité cérébrale altérée permettant d’identifier clairement le trouble. Bien que cela ne réfute pas la possibilité d’une base biologique, cela suggère que le TDAH pourrait être le résultat d’une interaction complexe entre des facteurs génétiques et environnementaux. Cette observation soulève des questions sur la pratique de la prescription systématique et à long terme de médicaments, non associée de façon plus systématique à des stratégies thérapeutiques non médicamenteuses (psychothérapie, guidance parentale, etc.). Après trois ans de traitement, les symptômes du TDAH ne montrent pas d’amélioration significative, qu’il y ait médication ou non, et les effets secondaires incluent un retard de croissance qui ne se récupère pas à l’adolescence après l’arrêt du traitement.

Par ailleurs, Paul Tough interroge la manière dont certaines recherches en neuro-imagerie ont été interprétées pour appuyer le diagnostic du TDAH. Par exemple, des études ont observé une minceur corticale dans les régions frontales chez certains enfants diagnostiqués, souvent interprétée comme un retard de maturation cérébrale. Toutefois, ces résultats, largement médiatisés, ne sont pas cliniquement significatifs : les différences observées sont minimes et la variabilité interindividuelle est importante, rendant difficile une utilisation diagnostique fiable. Malgré cela, ces données ont renforcé l’idée d’un trouble strictement biologique, occultant une approche plus nuancée qui prenne en compte des facteurs contextuels et environnementaux. 

L’étude MTA de 2024 révèle par ailleurs que les symptômes du TDAH évoluent de manière instable chez la majorité des patients suivis de l’enfance à l’âge adulte. Seuls 11 % des patients présentent des symptômes constants tandis qu’ils fluctuent chez les autres : ils peuvent dépasser le seuil diagnostic du DSM pendant plusieurs années, puis redescendre en dessous, voire disparaître temporairement. Ces fluctuations remettent donc en question la classification du TDAH comme un trouble « strictement » neurodéveloppemental. Si les symptômes peuvent évoluer, disparaître temporairement ou réapparaître selon les périodes de la vie, cela suggère une sensibilité accrue aux facteurs environnementaux et contextuels. Ainsi, cette variabilité plaide pour une approche multidimensionnelle du trouble, où le TDAH serait envisagé comme un spectre de traits attentionnels plus ou moins marqués selon les individus et les moments de leur vie, plutôt que comme un trouble binaire de type : « on l’a ou on ne l’a pas ».

Paul Tough met en lumière des approches alternatives, qui se concentrent sur l’environnement de l’enfant, ses conditions de vie, son parcours scolaire et familial. Ces perspectives permettent une lecture moins pathologisante des comportements et offrent une compréhension plus globale des symptômes. Des enseignants, cliniciens et chercheurs plaident pour envisager ces comportements comme des stratégies adaptatives face à des attentes ou des environnements inadaptés, plutôt que comme des troubles nécessitant une correction chimique. 

Dans la dernière partie de l’article, l’auteur s’intéresse à l’expérience subjective des adolescents et jeunes adultes diagnostiqués TDAH. Beaucoup décrivent un rapport ambivalent aux médicaments : efficaces pour se concentrer, mais accompagnés d’effets secondaires notables, tels que la perte d’appétit ou une certaine inhibition sociale. Des recherches (Swanson et al., 1999, 2007 ; Sibley, 2022 ; Nigg, 2017 ; Sonuga-Barke et al., 2013) montrent que les symptômes diminuent fortement lorsque les individus trouvent un environnement mieux adapté à leur personnalité ou à leurs intérêts. Cette observation remet en cause l’idée d’un trouble purement neurobiologique et invite à reconsidérer l’importance de l’environnement dans la gestion du TDAH.

Il ne s’agit pas ici de nier l’intérêt des traitements médicamenteux dans certaines situations où les manifestations du trouble sont particulièrement envahissantes, compromettant la scolarité, la vie familiale ou la socialisation de l’enfant. Cependant, à la lumière des données disponibles, de nombreuses questions sur l’usage prolongé des psychostimulants sans réévaluation régulière de leur pertinence clinique se posent. Si le médicament peut offrir un soutien temporaire (parfois « miraculeux »), il ne peut se substituer à une compréhension plus profonde du symptôme, qui implique de questionner l’histoire de l’enfant, ses liens familiaux, ses conflits internes et la fonction défensive des comportements observés.

Commentaire de Paul Denis

La revue très attentive et très complète faite par Paul Tough sur les travaux les plus récents menés sur les TDAH, en particulier ceux de James Swanson (1999 ; 2007), et sur les études longitudinales, mérite la plus grande attention et devrait nous faire remettre en cause non seulement notre façon de voir les TDAH, mais d’autres troubles comportementaux et pathologiques. Les travaux cités par l’auteur montrent que :

• L’extension considérable du surdiagnostic de TDAH, qui s’étend du reste maintenant aux adultes, comme si ceux-ci avaient aussi « droit » à cette « maladie » ;

• Ce surdiagnostic découle en grande partie de la méthode du DSM, fondée sur des questionnaires dont l’évaluation des items est subjective. D’autre part, le résultat de ces évaluations est très imprécis et il est en fait presque impossible de dire que tel enfant présente ou ne présente pas un TDAH. Poser un tel diagnostic – qui 

marque l’enfant du sceau d’une pathologie, parfois sans examen de l’ensemble de sa personnalité – a des effets négatifs de stigmatisation et ouvre la voie à une prescription médicamenteuse dont l’intérêt est discutable. Il y a actuellement aux États-Unis environ 7 millions d’enfants sous amphétamines (Ritaline®) ;

• La prescription de Ritaline® n’a qu’un intérêt très limité, et à court terme. Un tel traitement prolongé qui ralentit la croissance ne devrait être prescrit qu’avec de sérieuses raisons. Le principe de précaution pourrait inciter à en écarter l’usage ;

• Les troubles de l’attention avec hyperactivité sont en grande partie liés au contexte dans lequel l’enfant se développe et aux activités qui lui sont proposées ;

• Quelle qu’en soit l’importance, un symptôme ne définit pas à soi seul une maladie et encore moins un déficit cérébral. Certains enfants présentant des TDAH ne présentent pas de troubles profonds, d’autres ont des symptômes du registre autistique, et c’est de l’ensemble des difficultés de l’enfant dont il faut s’occuper et non isolément du trouble de l’attention.

• La tendance actuelle à réduire les difficultés d’un enfant à son symptôme le plus apparent, et à considérer celui-ci comme une maladie en soi, conduit à méconnaître la nature et la profondeur de ses troubles, et à prescrire des mesures symptomatiques : dépression ? antidépresseurs ; angoisse ? anxiolytiques ; TDAH ? Ritaline® ; difficultés d’écriture ? dysorthographie ? dys-quelque chose ? Rééducations. Celles-ci sont souvent indispensables, mais ne constituent pas forcément la réponse adéquate aux difficultés essentielles de l’enfant.

• L’hyperactivité ne correspond à aucun trouble cérébral que l’on puisse mettre en évidence. Il y a 50 ans ces enfants étaient déclarés « instables » et certains auteurs étaient persuadés que cette instabilité résultait de « minimal brain injuries » que l’on n’a jamais retrouvées. Les moyens d’imagerie cérébrale actuels ne mettent en évidence aucune lésion ni trouble d’un fonctionnement neuro-anatomique dans les TDAH.

• Chez des sujets, suivis de l’enfance à l’âge adulte, moins d’un sur dix d’entre eux (seulement) a présenté des symptômes constants ; ceux-ci ont fluctué ou disparu chez les autres. Parler de trouble « neurodéveloppemental » dans ces situations est un excès de langage.

• Le mode de vie, les relations familiales, le contexte scolaire jouent un rôle dans l’amélioration des troubles, mais aussi dans leur survenue.

Cette étude, en plus de son extrême intérêt dans l’abord des enfants réputés porteurs d’un « déficit de l’attention avec hyperactivité », nous invite à jeter un regard sur l’inadéquation de la notion de diagnostic en psychiatrie, et singulièrement en psychiatrie de l’enfant. La psychiatrie et la psychanalyse, ne soignent pas des maladies, mais des personnes qui se trouvent dans un état de souffrance et dont il faut percevoir l’ensemble des difficultés sans se contenter de faire taire le symptôme le plus apparent.

De notre point de vue, il faut souligner que l’un des aspects du fonctionnement psychique de ces enfants considérés comme porteurs d’un TDAH est leur recherche d’un investissement qu’ils abandonnent sitôt que trouvé. 

Les enfants précocement élevés dans une situation de discontinuité relationnelle sont beaucoup plus enclins à l’inquiétude et à des conduites hyperactives. Dans ses premiers mois, l’enfant investit puis reconnaît celle où celui qui lui donne les soins. Si cette personne change plusieurs fois dans la journée, ces conditions ne sont pas favorables à l’établissement d’une relation stable : dès qu’il commence à s’attacher à elle, celle-ci se trouve remplacée. On met ainsi l’enfant dans une situation paradoxale : on lui propose une personne à aimer et on la lui retire aussitôt. S’il n’investit pas celle avec qui il est, il n’organise pas de relation, ne communique pas ou peu. S’il commence à s’organiser par rapport à elle, il en sera privé dans les heures qui suivent et se désorganisera à nouveau. 

Dans la perspective phénoménologique de Bowlby, on peut dire qu’un « attachement sécure » ne se développe pas. La différence de style relationnel entre les enfants élevés dans une continuité relationnelle suffisante et les autres est frappante. 

L’exemple des TDAH est un exemple de plus des limites de la démarche médicale et de la perspective biologique en psychiatrie. Depuis cinquante ans, il n’y a pas eu de progrès décisif en psychopharmacologie et l’on peut douter que l’intelligence artificielle y change quoi que ce soit. L’approche relationnelle, institutionnelle, respectueuse, compréhensive, psychothérapeutique reste l’essentiel de l’exercice de la psychiatrie ; l’usage de médicaments est utile dans la mesure où il peut la faciliter, son risque est de le penser nécessaire et suffisant, favorisant un évitement de la relation thérapeutique.

Bibliographie

• Bowman, F. M. & Coghill, D. R., 2023. “ADHD treatment outcomes: A critical appraisal of long-term effectiveness”, Journal of Child Psychology and Psychiatry, vol. 64(2).

• ENIGMA ADHD Working Group, 2017. “Cortical and subcortical brain abnormalities in attention-deficit/hyperactivity disorder : Findings from the ENIGMA ADHD Working Group”, The Lancet Psychiatry, vol. 4(4). 

• Nigg, J. T., 2017. “Getting Serious About Stimulants: Misuse, Abuse and Long-Term Consequences”, The American Journal of Psychiatry, vol. 174(8). 

• Pelham, W. E., Jr., 2022. “Long-term outcomes of pharmacological treatment in ADHD : The need for combined approaches”, Child and Adolescent Psychiatric Clinics, vol. 31(1). 

• Sibley, M. H. et al., 2022. “Trajectory of ADHD symptoms from childhood through adulthood: A population-based study”, Journal of Attention Disorders, vol. 26(4). 

• Sonuga-Barke, E. J. S. et al., 2013. “Nonpharmacological interventions for ADHD : Systematic review and meta-analyses of randomized controlled trials of dietary and psychological treatments”, American Journal of Psychiatry, vol. 170(3). 

• Swanson, J. M. et al., 1999. “MTA Cooperative Group : A 14-Month Randomized Clinical Trial of Treatment Strategies for Attention-Deficit/Hyperactivity Disorder”, Archives of General Psychiatry, vol. 56(12). 

• Swanson, J. M. et al., 2007. “Ten-year follow-up of MTA: Effects of ADHD treatments on growth and academic outcomes”, Journal of the American Academy of Child and Adolescent Psychiatry, vol. 46(8).