“Mais qu’avez vous fait à Madame X, la semaine dernière, pour la changer autant? Elle est transformée, rayonnante, on peut lui parler sans qu’elle soit agressive, elle est détendue, agréable, volubile !”
La psychologue interpellée par les commentaires d’une équipe d’infirmières psychiatriques, en charge de l’accueil des patients dans un Centre Médico-Psychologique, répond tout simplement : “Que lui ai-je fais ? Eh bien, juste un examen psychologique. Je lui ai fait passer l’Echelle d’Intelligence de Wechsler (WAIS III) et l’Echelle Clinique de Mémoire de Wechsler (MEM)”.
La question qui se pose à la lecture de ce dialogue (authentique) est de comprendre ce qu’il y a de si réjouissant dans la passation de la WAIS III ou de la MEM, échelles respectivement d’intelligence et d’exploration mnésique, échelles composites qui confrontent le sujet à son fonctionnement cognitif dans ses aspects les plus diversifiés. Ces échelles, présentent des contenus intéressants et permettent d’aboutir à des conclusions utiles pour le patient et nécessaires pour les équipes, mais il est à supposer que le contentement éprouvé par cette patiente découle moins de leur caractère humoristique que du travail personnel réellement effectué ainsi que de la discussion qui a permis de partager et d’analyser les résultats.
Au niveau clinique, nombreux sont les praticiens de l’examen psychologique de l’adulte qui observent l’existence d’effets bénéfiques qui découlent du processus d’évaluation et qui agissent sur le bien-être de leurs patients ou sur leurs représentations vis-à-vis du soin psychologique. Ces effets sont nombreux et diversifiés. Il s’agit de la possibilité de former une alliance thérapeutique; de la formulation d’objectifs partagés pour la psychothérapie ; de l’amélioration de la conscience de soi et de la compréhension du fonctionnement psychique propre ; de l’augmentation de la motivation pour un suivi psychologique (Michel, 2002).
La passation des tests et la rétrocession des résultats ont, donc, indéniablement, la plupart du temps, un impact positif sur le bien-être des personnes qui s’y engagent. A partir de ces observations, l’examen psychologique s’ouvre à d’autres pratiques que celles habituellement reconnues et admises (dépister et planifier l’intervention psychologique ; évaluer l’adéquation et l’issue du traitement) puisque, du fait des effets positifs sur le patient, l’évaluation semble agir comme une véritable forme d’intervention.
En effet, de nombreuses études de cas montrent que l’examen psychologique a des effets importants sur la diminution de la symptomatologie du patient car, grâce à la restitution des résultats, il facilite la compréhension que le patient a de ses problèmes et de soi même.
Ainsi, dans une étude de 1996, Finn & Tonsanger, ont trouvé que la rétrocession des résultats obtenus au Minnesota Multiphasic Personality Inventory (MMPI) améliore l’estime de soi et diminue le niveau de la symptomatologie. Ces bénéfices ont été observés immédiatement après la séance de rétrocession et sont retrouvés à deux semaines de follow-up.
Une équipe australienne (Newman & Greenway, 1997) a reproduit l’étude de Finn & Tonsanger et a trouvé des résultats tout à fait similaires. Pour modéliser ces constats, Finn (1996) a élaboré une méthode d’examen psychologique appelé “l’évaluation psychothérapeutique” dans laquelle le processus de passation des tests est conçu comme une forme de thérapie brève et non plus comme une simple méthode de recueil d’information, nécessaire à la réflexion diagnostique et à la communication autour du patient.
Dans ce paradigme, l’objectif de l’évaluation n’est plus la simple accumulation de données pour le compte d’un tiers (le demandeur d’examen psychologique), mais l’acquisition par le patient d’un discours plus réaliste sur lui-même.
Ce nouveau discours donne lieu à une autre forme de connaissance sur soi, qui à terme, peut être généralisée, par le patient, aux différents domaines de sa vie. Dans ce modèle, le rôle du psychologue examinateur se complexifie. En effet, au cours de l’évaluation thérapeutique et de la passation des tests, le psychologue est attentif à créer et à maintenir une relation empathique avec son patient, informe le patient des objectifs multiples de l’examen psychologique (recueil d’information pour un tiers, mais aussi recueil d’informations pour soi) et lui donne la possibilité de discuter, questionner, approfondir les résultats obtenus dans la séance de rétrocession qui suit. Dans ce modèle, le rôle du psychologue est celui d’un observateur-participant, formé non seulement à la psychopathologie, à la théorie des tests et de la personnalité, mais aussi à la gestion des relations humaines.
Dans le cadre de l’évaluation thérapeutique, les tests deviennent les outils qui révèlent au patient ses particularités de fonctionnement. Cette prise de conscience devient un repère sur lequel, par la suite, le sujet peut s’appuyer pour prendre des décisions éclairées qui conviennent à son engagement dans une démarche psychothérapeutique.
Pratiquement, l’évaluation thérapeutique se déroule selon les étapes suivantes (Finn & Tonsanger, 1992):
– un entretien clinique préliminaire au cours duquel, le sujet évoque ses propres théories quant à ses difficultés actuelles et rend compte de la connaissance qu’il a de lui-même. Il est invité à formuler une série de questions qu’il se pose sur soi et sur son fonctionnement. L’examinateur–psychologue reformule ce discours et participe, avec le sujet, à l’élaboration d’un questionnement satisfaisant pour ce dernier. Toujours au cours de ce premier entretien, l’examinateur apporte une série d’informations sur la méthode des tests et rassure le sujet quant aux enjeux qui pourraient en découler. Cette interaction est très individualisée, le psychologue s’adresse à son patient en tenant compte de ses caractéristiques propre (âge, culture, niveau socioprofessionnel, etc.).
– Ensuite, les tests, choisis, en fonction de la demande explicite, mais aussi en fonction de l’échange avec le patient, sont proposés au cours de l’examen psychologique proprement dit. La correction et l’interprétation se font en dehors de la présence du patient.
– La session de rétrocession est capitale. Au cours de cette séance, l’examinateur maintien sa relation collaborative et empathique avec son patient. Le psychologue explique que les réponses obtenues aux tests, sont assimilées à des échantillons de comportement et de fonctionnement psychique, représentatifs du sujet. Les questions initiales élaborées en commun sont passées en revue. D’autres peuvent surgir et, dans ce cas, elles sont discutées. Les résultats les plus difficiles à communiquer ou susceptibles d’être perçus comme “menaçants” sont présentés en dernier. Le patient est sollicité à confirmer, infirmer ou modifier les affirmations du psychologue. Si le sujet rejette une hypothèse interprétative, le psychologue la reformule, puis l’abandonne si le patient persiste dans son rejet.
Que se passe-t-il véritablement au cours d’une séance de ce type pour qu’elle devienne thérapeutique? La réponse à cette question réside principalement dans le fait que les besoins psychiques et les attentes du patient sont pris en compte et satisfaits au cours du processus d’évaluation et dans la discussion avec l’examinateur. Finn & Tonsanger (1997) identifient trois types de besoins psychiques fondamentaux liés intrinsèquement à la passation d’un examen psychologique. Il s’agit du sentiment de cohérence ; de mise en valeur ; et d’efficacité personnelle.
Le sentiment de cohérence permet au sujet de se reconnaître et de formuler des ressentis confus ou des pensées diffuses lorsque le psychologue organise les résultats en fonction des théories subjectives ou des idées préconçues du sujet. De cette manière, le patient entend d’abord des éléments proches de ses propres conceptions, puis reçoit une information nouvelle ou divergente de ses convictions.
Le sentiment de mise en valeur s’installe lorsque le sujet comprend qu’il est en son pouvoir d’apporter des réponses pertinentes à son propre questionnement. Il est restauré dans sa dimension de sujet. De cette manière, il est sensibilisé à sa propre capacité à se déchiffrer et à s’aider. Pour cela, le psychologue propose des hypothèses interprétatives en demandant au sujet de participer à leur vérification. Il apporte des éléments positifs qui représentent des points d’accroche pour le sujet. Le sentiment d’efficacité personnelle se réfère à la découverte d’informations nouvelles sur soi-même qui permettent au sujet d’envisager de nouvelles façons d’organiser son expérience. Cette stratégie entraîne une augmentation des capacités communicationnelles. Le patient établit des liens avec d’autres cas semblables aux sien et peut envisager des solutions pour l’avenir.
L’interaction avec le psychologue est primordiale, car l’examen psychologique révèle ce qui pourrait rendre vulnérable le sujet et trace, ainsi, les pistes de changement pour l’avenir. Le psychologue propose une formulation conceptuelle de la situation actuelle, qui va au-delà de la simple description. A la fin de la session de rétrocession, le sujet devrait déjà se sentir engagé dans le processus thérapeutique.
Dans le modèle de l’évaluation psychothérapique, la transmission des résultats au sujet est une forme d’intervention psychologique car tout au long du processus, le sujet est considéré comme un collaborateur actif, participant dynamique qui explore son style habituel de fonctionnement et qui découvre la perspective de nouvelles alternatives.
Madame X, cette patiente de 56 ans ayant passé la WAIS III et la MEM, avait réalisé au cours de la séance de restitution des résultats, que malgré des difficultés mnésiques, source d’anxiété et d’irritabilité, elle conservait une méthodologie efficace de travail lui permettant de contourner ce type de problème. Elle réalisait aussi que son intérêt particulier pour les domaines artistique et culturel pouvait servir de “remède” contre une trop grande polarisation sur les difficultés mnésiques lui permettant de fixer son attention sur des pensées ou des activités plus satisfaisantes. “Alors comme ça, nous disait-elle en clôturant la séance, j’ai encore de bonnes années devant moi !”