Intérêt de l’examen psychologique de l’adulte dans le diagnostic de la douleur
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Intérêt de l’examen psychologique de l’adulte dans le diagnostic de la douleur

Évaluer une douleur chronique (douleur persistant au-delà d’une période de trois à six mois, rebelle aux traitements antalgiques et invalidante) est une tâche complexe, qui requiert une démarche rigoureuse et précise, le recueil d’informations nombreuses, diversifiées et une écoute attentive du sujet (de sa demande et de ses attentes), afin de parvenir à une vision globale et synthétique du problème.

Caractéristiques et fonctions des consultations de la douleur

Du fait de l’intrication des différents facteurs en jeu (neurophysiologiques, biochimiques, psychologiques…), des consultations pluridisciplinaires de traitement de la douleur ont été créées et se sont développées sur le modèle de celle de John Bonica à Seattle (1961), à partir des années 1975-80. Ces consultations permettent une approche globale du patient (soin, prise en compte du patient dans son milieu familial, social et professionnel, réinsertion) par leur caractère pluridisciplinaire, et les approches conjointes de spécialistes complémentaires.

Ces unités sont constituées de représentants de différentes disciplines : anesthésiste, assistante sociale, infirmière, médecin inter-niste, neurologue, psychiatre, psychologue, rhumatologue. Ceux-ci travaillent à apporter chacun par leur formation, leur expérience, leur compétence une compréhension synthétique des différentes composantes du problème sur le plan diagnostic et à proposer des mesures thérapeutiques cohérentes et plurimodales, en analysant la fonction du message douloureux.

Les fonctions de ces structures sont multiples :

  • réévaluer le diagnostic initial tout en évitant l’escalade des investigations,
  • prendre en compte et appréhender les caractéristiques du syndrome douloureux chronique : somatiques, évènementielles, psychologiques, celles relatives aux bénéfices primaires et secondaires d’ordre professionnel, financier, sociologique, relationnel et affectif (préjudices non reconnus, situation médico-légale conflictuelle, revendications…),
  • établir une relation de confiance permettant l’accompagnement du patient, une bonne collaboration et adhésion thérapeutique, s’intéresser à l’environnement familial, culturel et social du patient et en tenir compte,
  • proposer une prise en charge adaptée et le plus souvent multimodale, en ayant soin d’éliminer les risques iatrogènes (chirurgies aggravantes, pathologies se développant sur des séquelles chirurgicales, moyens de contention, surenchères thérapeutiques) et en associant des thérapeutiques pharmacologiques, physiques, chirurgicales et psychologiques,
  • pratiquer à un rythme régulier l’évaluation de l’évolution et des progrès.

Les pathologies les plus fréquemment rencontrées dans ces centres sont les douleurs neurologiques (douleurs post-zostériennes, post-traumatiques, amputations, avulsions plexiques, compressions nerveuses, douleurs lésionnelles), les céphalées, les douleurs vasculaires, cutanées, abdomino-pelviennes, les douleurs fonctionnelles.

Apport de l’examen psychologique et modalités d’utilisation

Parallèlement au recueil de données somatiques, et non pas ultérieurement, une investigation psychologique est donc utile et nécessaire. Le caractère précoce de cette intervention (à la suite de la première consultation et parallèlement au bilan organique) contribue à une prise en charge de meilleure qualité et donc à une meilleure réussite thérapeutique, entraînant de ce fait une diminution des coûts de santé.

Cette consultation et ce bilan doivent être introduits de manière adéquate par le médecin consultant, comme faisant partie intégrante de l’étude du problème. Le caractère authentique de la douleur ne doit pas être remis en cause.

Objectifs du bilan

Cette approche poursuit plusieurs objectifs :

• Tout d’abord comprendre les composantes de la souffrance du sujet, son vécu de la maladie, appréhender son histoire, le rôle des événements de vie dans la survenue et le maintien de la douleur (facteurs déclenchants comme une intervention, un accident, une maladie, une souffrance liée au stress, un deuil ou une séparation, une psychopathologie préexistante, facteurs prédisposant comme l’hérédité, les facteurs transgénérationnels, les antécédents de carence affective, de maltraitance ou d’abus sexuel, un événement traumatique entrant en résonance avec un événement actuel, facteurs situationnels comme des difficultés professionnelles : arrêt de travail, chômage ou promotion, des difficultés universitaires (situation d’échec), des difficultés sociales à type d’isolement, de versements d’indemnités ou de compensations financières, des difficultés relationnelles conjugales ou familiales).

• Apporter un éclairage approfondi à l’équipe médicale et soignante sur la problématique psychique et le fonctionnement du sujet, ainsi que sur le rôle de la douleur. Cet éclairage permet de mettre en évidence l’existence de pathologies, d’identifier la présence de comportements de manipulation, ou d’attitudes agressives visant l’obtention de bénéfices secondaires (attention accrue, avantages sociaux ou financiers) et donc de réfléchir, à partir de ces éléments, aux risques de surenchères médicales, et d’être mieux armés pour résister aux demandes réitérées d’examens. Il aide ainsi chacun des interlocuteurs à mieux se positionner dans sa relation avec le patient.

• Enfin, du fait de l’analyse et de la prise en compte de ces données, offrir la possibilité d’un choix argumenté et plus pertinent de ou des orientations et stratégies thérapeutiques, en appréciant ces facteurs au regard des ressources du sujet, de ses capacités d’adaptation et de remise en question, de sa motivation, de ses possibilités de mobilisation (prescriptions médicamenteuses, gestes chirurgicaux, kinésithérapie, relaxation, prise en charge psychothérapique : TCC, ou d’inspiration analytique).

Fonction du bilan pour le patient

Par ailleurs, ce bilan psychologique constitue pour le sujet une étape dans le processus thérapeutique. Il lui permet de prendre progressivement conscience, par l’auto-observation et l’analyse suscitée au travers des différentes phases du bilan, des interprétations exprimées par rapport à la douleur, de ses manifestations émotionnelles et affectives, des comportements adoptés, et de la manière dont tout ceci retentit sur ses investissements et ses activités. L’évaluation psychologique favorise pour le sujet la compréhension de la situation, la clarification et l’élaboration du problème, la définition des cibles thérapeutiques par l’information qu’elle lui apporte, par la prise de distance qu’elle produit, et les hypothèses interprétatives proposées qu’il est invité à vérifier.

Déroulement du bilan

Le bilan psychologique doit être mené avec souplesse, en choisissant les épreuves en fonction du problème posé. Selon les équipes, et leurs positions théoriques, le déroulement de cet examen diffère, avec une utilisation variable des différents outils. Dans notre centre et notre pratique, cette évaluation comprend plusieurs phases :

  • un ou des entretiens cliniques portant sur le vécu de la douleur (localisation, intensité, type de douleur, durée, conséquences pour le sujet dans sa vie quotidienne professionnelle, universitaire, sociale, affective), sur l’histoire personnelle du patient (événements de vie), sa symptomatologie, et sa problématique psychique,
  • dans certains cas des épreuves d’efficience, comme la WAIS-III, afin d’apprécier le fonctionnement cognitif, ou d’éventuels signes de détérioration ou d’organicité,
  • des épreuves projectives (Rorschach, et/ou T.A.T), visant à confirmer ou à infirmer les hypothèses élaborées et à dégager le fonctionnement psychique du sujet, en comprenant le rôle du message douloureux et les mécanismes psychopathologiques sous-jacents,
  • des échelles d’évaluation, rapides à remplir et qui constituent un apport complémentaire des autres modalités d’investigation. Toutes ces échelles sont validées en France, à l’exception de celle de Chambless. Les données obtenues sont bien sûr à confronter avec les autres sources d’informations, l’absence de congruence pouvant traduire la présence de mécanismes défensifs.

Elles représentent initialement une aide au diagnostic, fournissant au clinicien de nombreuses informations qualitatives et quantitatives, à partir des réponses données mais aussi des commentaires conjoints. Elles peuvent également contribuer à préciser les caractéristiques du comportement du sujet (symptomatologie), à amorcer le processus thérapeutique, du fait de la prise de conscience qu’ elles permettent, amenant le patient à identifier de manière plus précise ce qu’il pense et ressent, et à se situer par rapport aux autres. Elles aident enfin à déterminer les changements à instaurer dans l’avenir et à évaluer l’évolution, ainsi qu’à renforcer l’alliance thérapeutique, le sujet se reconnaissant dans les situations proposées et se sentant compris.

Les échelles les plus souvent utilisées dans notre centre sont les suivantes :

  • Le BDI-II : Beck Depression Inventory (1998)
  • L’inventaire d’anxiété Etat-Trait de Spielberger (1983)
  • Le questionnaire des peurs de I.H Marks et A.M Mathews (1979)
  • Le questionnaire des cognitions agora-phobiques, et celui des sensations corporelles de Chambless (1984)
  • L’échelle d’obsession compulsion de Yale Brown (1989)
  • L’échelle d’affirmation de soi de Rathus (1948).

L’utilisation du bilan psychologique chez le patient douloureux chronique est donc d’un grand apport dans l’évaluation de la personnalité globale, et dans la compréhension dynamique de son fonctionnement, comme dans le choix des stratégies thérapeutiques et l’appréciation des changements. L’approche interprétative des modèles psychodynamiques issus de la psychanalyse et se situant dans une perspective psychogénétique n’est pas antinomique de celle des modèles psychocognitifs décrivant le fonctionnement en termes de ressources de stress et de styles adaptatifs.

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