Commençons par un hommage. Sur les questions de psychanalyse et de genre, dans la tradition lacanienne dans laquelle j’ai été éduqué, je ne connais toujours rien de plus abouti (tant dans l’exégèse théorique que par l’acuité clinique) que les deux livres de Geneviève Morel, Ambiguïtés sexuelles : sexuation et psychose et La Loi de la mère : essai sur le symptôme sexuel (Economica, 2000 puis 2008). Un troisième volume était attendu, on peut vraiment regretter qu’il n’ait pas vu le jour. Le grand intérêt des études qu’elle y avait réunies, c’était de faire entendre des voix alors toutes nouvelles en France : non plus les seuls transsexuels classiques, changeant de sexe, aspirant à un oubli définitif de leur identité antérieure une fois les procédures chirurgicales et hormonales menées à leur terme (juridique), mais les nouvelles formes de vie queer, l’enfant d’un couple de lesbiennes, et d’autres configurations liées aux métamorphoses du genre qui commençaient alors à se banaliser dans la vie sociale.
Je reste néanmoins persuadé de la fécondité d’une autre approche (nullement exclusive de la sienne, directement psychanalytique), passant par la médiation de la philosophie très technique de l’identité et du lien corps/esprit, mais aussi de l’épistémologie et de l’histoire des sciences, pour approcher du noyau le plus controversé des questions du genre, au moins pour ce qui concerne les psychanalystes, l’émergence d’une problématique distincte du « transgenre » qui n’a plus du tout les mêmes coordonnées que celles du transsexualisme des années 1960-1990. À cet égard, je voudrais marquer un premier phénomène sidérant pour l’observateur. Les personnes qui revendiquent une identité pleine et entière dans l’autre sexe, et qui se font opérer et cherchent un oubli total de leur identité antérieure (qui était une « erreur de la nature ») n’ont absolument pas disparu. Mais comme…