Sur la formation des psychothérapeutes d’enfants
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Sur la formation des psychothérapeutes d’enfants

Annie Anzieu nous a quittés le 10 novembre 2019, dix ans après son mari, Didier Anzieu. Elle laisse derrière elle des enfants, des petits-enfants, des anciens patients, des analystes confirmés ou encore en formation, des livres écrits seule ou à plusieurs, de nombreux articles, et trois Sociétés en deuil : l’Association Psychanalytique de France (APF), dont elle était Membre Formateur, l’Association Psychanalytique Internationale (API) dont elle était membre formateur direct pour la psychanalyse de l’enfant et de l’adolescent, et la Société Européenne pour la Psychanalyse de l’Enfant et de l’Adolescent (SEPEA), qu’elle a co-créée en 1994 avec la signataire de cet hommage.

Elle laisse aussi beaucoup d’amis qui appréciaient sa gentillesse, sa convivialité, son esprit vif et cultivé, et l’à-propos de ses interventions. Avant d’entrer dans le champ de la psychanalyse, Annie Anzieu a suivi une formation littéraire et philosophique de haut niveau.
Elle a également débuté sa carrière de thérapeute en rééduquant des troubles du langage chez l’enfant.

Elle a épousé Didier Anzieu, qui a suivi également une formation littéraire et philosophique poussée avant de devenir psychanalyste. Ses travaux, sur l’autoanalyse de Freud, sur le groupe et sur le Moi-peau notamment, sont mondialement connus. Si Annie a indéniablement soutenu et participé avec détermination à la brillante carrière de son mari, elle n’a jamais cessé pour autant de développer ses propres compétences, tout en éduquant leurs deux enfants, Pascal et Christine, jusqu’à ce que ceux-ci aient trouvé leur voie et se soient établis dans la vie. Nous connaissons la brillante carrière de notre amie et collègue le Dr Christine Anzieu-Premmereur, et je voudrais profiter de cette occasion pour lui dire toute mon admiration pour la façon dont elle s’est construite sur un mode absolument authentique et personnel, tout en intégrant les apports de deux parents aussi remarquables.

Devenue Membre Titulaire chargée de formation à l’Association Psychanalytique de France (APF), Annie Anzieu a exercé la psychanalyse avec des patients de tous les âges, y compris des très jeunes enfants. Elle l’a fait à une époque et dans un environnement où la
psychanalyse de l’enfant était considérée comme une application mineure de notre profession ; elle s’est confrontée à une grande ambivalence du milieu de la psychanalyse française d’alors, mais aussi à une communauté d’intérêt par exemple chez Jenny Aubry, Myriam David, puis François Dolto. Elle n’a jamais abandonné ce champ de découvertes théoriques et de pratique clinique de la psychanalyse, et a cherché sa nourriture et ses appuis parmi les grandes figures mondiales de la psychanalyse d’enfants, en tout premier lieu Anna Freud, puis aussi Mélanie Klein, Winnicott, René Spitz, pour ne citer qu’eux.

Elle a écrit de nombreux travaux, notamment sur la féminité et, évidemment, sur la psychanalyse avec l’enfant, dont un livre en collaboration avec sa fille Christine Anzieu-Premmereur. La liste de ses principales publications se trouve à la fin de cet hommage.

Elle a aussi trouvé un appui inconditionnel en la personne du Pr Daniel Widlöcher, qui a créé très tôt pour Annie un poste d’orthophoniste, puis de psychothérapeute d’enfants à l’Hôpital de la Salpêtrière où il a accompli toute sa carrière hospitalo-universitaire.

J’ai rencontré Annie Anzieu à la faveur du Congrès des Psychanalystes de Langues Romanes – aujourd’hui, de Langue Française – sitôt que j’ai été admise au cursus analytique en Suisse, en 1965. En 1970, lorsque j’ai quitté Genève pour Paris et la Société Suisse de Psychanalyse pour la Société Psychanalytique de Paris (SPP), j’ai eu plusieurs occasions d’échanger avec Annie Anzieu. Notre intérêt commun pour la psycha-nalyse de l’enfant nous a très vite réunies, et nous avons tissé les liens d’une amitié solide et durable. Un beau jour, lasses de passer nos samedis après-midi dans de doctes réunions visant à ne pas trouver de solution au problème de la formation en psychanalyse d’enfants dans nos sociétés d’appartenance, nous avons osé imaginer nous lancer à organiser une Journée théorico-clinique avec les élèves de nos séminaires privés respectifs. L’APE – Association de Psychanalyse de l’Enfant – était née, dans un enthousiasme qui a largement dépassé nos attentes. C’était en 1984. Elle a magnifiquement fonctionné pendant dix ans, et a été suivie et remplacée en 1994 par la SEPEA – Société Européenne pour la Psychanalyse de l’Enfant et de l’Adolescent – toujours active à ce jour.

Cette Européanisation de notre activité nous a apporté beaucoup d’espoir et a considérablement enrichi nos week-ends de travail, facilitant les échanges avec d’éminents psychanalystes d’enfants européens, et aussi avec de jeunes candidats qui ont apprécié notre manière d’aborder la clinique psychanalytique avec l’enfant. Outre nos traditionnels week-ends parisiens – qui comportent une journée entière de huit ateliers cliniques – et nos dix samedis de séminaires théoriques et cliniques par an à Paris, nous organisons des Journées SEPEA chaque année à Rouen, à Aix-en-Provence, à Lyon et à Lisbonne (Portugal), et tous les deux ans à Bologne (Italie). Des partenariats se nouent de plus en plus en France et en Europe avec d’autres sociétés à buts similaires.

Lorsque Daniel Widlöcher était Président de l’API (2001-2005), et sous l’impulsion de notre regrettée collègue helvético-britannique Anne-Marie Sandler, le Committee On Child and Adolescent Psychoanalysis (COCAP) de l’Association Psychanalytique Internationale (API) nous a élues, Annie et moi, membres directs de l’API en qualité de formateurs en psychanalyse de l’enfant et de l’adolescent. C’était une main tendue par cette Association qui regroupe toutes les Sociétés psychanalytiques dont elle reconnaît les compétences et le cursus de formation, pour offrir à nos deux sociétés d’appartenance – APF et SPP – la possibilité d’amorcer rapidement une formation officielle en psychanalyse de l’enfant, chacune en leur sein, dans une période de l’histoire où la psychanalyse avait le vent en poupe et était accueillie a bras ouverts dans les universités et les structures hospitalières.

Aucune des deux sociétés n’ayant accepté cette possibilité, et ni Annie ni moi n’ayant souhaité sortir de nos sociétés respectives pour en créer une nouvelle, la France se trouve encore aujourd’hui dépourvue de formation en psychanalyse de l’enfant reconnue par le COCAP et agréée par l’API.

Nous avons organisé une formation en psychothérapie psychanalytique à la SEPEA, formation qui est tolérée par les tutelles financières de la Formation Permanente malgré le discrédit dont la psychanalyse est devenue trop souvent l'objet actuellement, en France et ailleurs. Grâce à la compétence et à la détermination des praticiens que nous avons formés, nous survivons néanmoins et poursuivons nos efforts en espérant des jours meilleurs.

Annie était une force tranquille. Pendant de nombreuses années, en attendant la relève qui est fort heureusement arrivée maintenant, nous avons, elle et moi, assuré la présidence de notre association en alternant le titre de Présidente et de Vice-Présidente, sans aucun souci de préséance, attelées ensemble au même cheminement et visant le même but. Ce compagnonnage a duré 35 ans, et il cesse brutalement aujourd’hui avec sa disparition. Dans les temps difficiles que vivent aujourd’hui les sciences humaines, prise entre le travail d’assimilation des magnifiques découvertes dues aux neurosciences et le rejet ambiant de toute forme d’intériorité et de fonctionnement psychique qui dépasse la binarité de l’intelligence artificielle, la psychanalyse a plus que jamais besoin de reconquérir une place dans le socius et dans la formation des cadres de notre société civile.

Je pense toujours, comme je l’ai écrit en 2014 1, que la pratique psychanalytique avec l’enfant et l’adolescent demeure le fer de lance des découvertes cliniques et théoriques en psychanalyse. Annie Anzieu fut l’une des magnifiques pionnières de cette discipline. Sa disparition nous laisse entre le chagrin et la gratitude, et avec un exemple incomparable de courage et de détermination à ne jamais baisser les bras dans l’adversité.

Florence Guignard

Notes
1- Guignard F. 2014 Les veilleurs dans la nuit, pour l’amour du vivant in : Psychanalyse de l’enfant et de l’adolescent, état des lieux et perspectives. In Press, coll. SEPEA.