Une maison divisée – 40 ans du titre de psychologue, regards croisés. Colloque de la FFPP du 16 mai 2025 à Paris
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Une maison divisée – 40 ans du titre de psychologue, regards croisés. Colloque de la FFPP du 16 mai 2025 à Paris

Préludes

« Le début de l’histoire, et pas la fin » : cette phrase prophétique, typique d’un mythe politique de la refondation, était nichée au cœur de l’entretien avec Frank Bellivier (27 mars 2025) dans L’Express et entendait qualifier l’épisode « Mon parcours Psy ». Intentionnellement ou non, cette sortie semblait répondre aux prévisions pessimistes prophétisant la disparition du psychologue. Toujours est-il que cet entretien, plus encore que les propos du président de la république, le mardi précédant le colloque, a mis le feu aux poudres dans la profession ; « Je ne m’attendais pas à un tel brouhaha », dira le délégué interministériel le jour même, dans une tonalité légèrement provocatrice. Une nouvelle fois, les organisations professionnelles, qui pensaient avoir l’initiative ou la possibilité d’influer, qui par l’organisation d’un colloque, qui par la construction d’une proposition d’ordre, qui par la réflexion sur l’allongement des études, se retrouvaient débordées par leurs partenaires politiques.

Depuis 2018, environ, un bombardement constant de petites phrases, rapports, articles, discours officiels, livres, journées d’étude, expérimentations, tend à redéfinir la place sociale du psychologue. Cela conduit souvent ce corps professionnel à se situer en réaction, réactions rendues de plus en plus désordonnées par la multiplication démographique (de 10 000 à 15 000 psychologues en 1985 à plus de 80 000 aujourd’hui), les subdivisions d’intérêts, l’émergence de nouvelles formes d’action politique et les nouvelles technologies. Toutes proportions gardées, comme le notait l’un des participants de l’une des tables rondes, il se passe la même chose que dans d’autres secteurs : les organisations traditionnelles se voient débordées par des mouvements spontanés, interrogeant la représentativité des corps institués. L’État tire profit de cette désorganisation relative en jouant de ses rapports aux organisations publiques, au secteur privé, aux influenceurs et aux corps intermédiaires.

Frank Bellivier, dans ce processus, n’est pas un centre, mais l’opérateur d’un projet plus vaste, propageant une pensée de fond sur l’organisation des politiques publiques en matière de psychiatrie et de handicap. Dans ce mouvement, les psychologues sont envisagés comme des acteurs parmi d’autres. Un ensemble qui serait mal organisé, mal adapté, formé de manière trouble, et devrait être réformé pour trouver son efficience dans la redéfinition de la psychiatrie en santé mentale. Il n’en reste pas moins que le délégué interministériel focalise l’attention et, en un geste, a semblé changer la perspective d’un colloque auquel il était invité dans une place de choix. Il reprenait la main et polarisait l’attention sur un segment du débat. Dès lors, la tenue du colloque concernant les 40 ans du titre de psychologue – datant de juillet 1985 – organisé par la FFPP, qui aurait pu être une fête transpartisane et qui passait relativement inaperçu jusqu’alors, se retrouvait objet politique, centré sur le remboursement et le lien médecin-psychologue. Les organisations qui s’étaient, bon an mal an, unies autour de la refonte du code de déontologie des psychologues en 2021, montraient quatre ans plus tard l’image d’une maison profondément divisée.

L’évènement, dans sa dernière ligne droite, fut précédé d’une rumeur défavorable sur les réseaux sociaux. Des communiqués offensifs remettant en cause les organisateurs, et appelant à demi-mot à du sabotage, furent produits. Est-ce par souci d’efficacité ou par méconnaissance que les organisations privilégient le symbole (le ministère de la Santé ; le délégué interministériel), le vocabulaire simple (une fête honteuse), le ton de l’invective, plutôt que la profondeur de l’analyse ? Est-ce par ignorance ou carence politique que d’autres présences plus discrètes comme celle d’Angèle Malâtre-Lansac (de l’Institut Montaigne à l’Alliance pour la Santé mentale) ne sont pas interrogées ? Les positionnements proposés aux psychologues semblaient dès lors assez binaires : boycotter/collaborer. Dans cette absence de nuance se retrouvaient les soubresauts et les lignes de fracture traversant actuellement la profession, avec l’émergence d’une multitude de collectifs amenant un renouvellement de l’action politique et une dose de chaos. Il serait sans doute excessif de dire que nous sommes passés, dans un temps accéléré, du régime d’une militance du texte et de l’occupation du terrain vers une militance de l’image, du slogan et des territoires virtuels, car les deux tendances coexistent. Les invectives et les ostracisations d’hier deviennent simplement plus visibles sur les réseaux sociaux. Pour le reste, comme l’observait un commentateur, la plupart de ceux qui font de la FFPP le grand Satan sont séparées d’elle par l’épaisseur d’un cheveu : seuls les différencient les conditions d’exécution du remboursement du psychologue et du paradigme du recours au privé.

Mouvements

Trop loin ou trop proche, il serait illusoire, au vu du contexte, de revendiquer un regard neutre, objectif et détaché sur cet évènement. L’auteur de ces lignes avait fait le choix de plonger dedans, en acceptant une place à la tribune, tout en revendiquant une fonction de reportage. Des abondantes notes prises le jour même, que retenir ? Pas nécessairement le contenu des propos, puisque les Actes devront être publiés. D’autre part, des vidéos Youtube®, décidées au dernier moment, devraient en donner la teneur. Un mouvement soudain vers la « transparence » qui ponctuait une communication quelque peu erratique. Nous pouvons donc insister sur ce que les enregistrements et les textes officiels ne peuvent saisir, comme des ambiances imperceptibles.

« Je n’ai trouvé personne enchaîné devant le ministère ». La petite blague entendue le matin disait une angoisse latente. Reste que les manifestations internet ont montré leurs limites, et la journée a eu lieu. L’amphithéâtre, de taille raisonnable, bien sonorisé, était adapté au débat. Mais pour le dire pudiquement, il ne débordait pas vraiment de monde. À de nombreuses reprises, il fut fait référence aux personnes inscrites ne s’étant finalement pas déplacées. Une nouvelle fois, cela nous questionne sur la possibilité pour les psychologues et les étudiants en psychologie de se mouvoir et leur envie de le faire. Comment se fait-il que la salle ne soit pas pleine, que des inscrits ne viennent pas ? Nous ne pouvons pas attribuer la faible participation à la seule désorganisation de la FFPP ou au discrédit jeté par les autres organisations, car le constat est répété dans beaucoup de colloques, mais nous aurions pu penser que le caractère exceptionnel de l’évènement aurait produit d’autres résultats. Dans son histoire de la psychologie, Annick Ohayon (2006) ironisait sur le non-évènement qu’avait constitué la loi : certains psychologues apprenant la nouvelle dans Le Monde, les décrets d’applications mettant plusieurs années à sortir. L’indifférence relative de la profession pour sa disparition, en mars dernier, vient nous rappeler la fragilité de notre rapport à l’histoire et à l’organisation. L’hommage touchant que lui rendit la présidente de la FFPP est inséré dans une introduction évoquant la place des psychologues dans la société. Un fait est mis en exergue : c’est la première fois que des ministres sont présents dans un colloque de ce type. Présents ? Ils ont envoyé une courte vidéo, le ministère de la santé se désistant au dernier moment. Auraient-ils été chahutés s’ils étaient venus en présence ? Probablement pas. Mais auraient-ils provoqué autre chose qu’une indifférence polie ? Comme pour les Assises de la Santé mentale, nous n’attendions pas de nouvelles précises, d’annonces fracassantes, l’action étant souvent plus périphérique.

Le programme frappe autant par son abondance (plusieurs ministres et acteurs majeurs de la santé mentale) que par ses pénuries (où sont les acteurs et analystes de la loi de 1985 comme Emmanuel Garcin et Gérard Fourcher ? Où sont les nouvelles organisations ?)

Dès l’entame, Jean-Pierre Sueur, rapporteur de la loi de 1985, nous offre un remarquable cours de droit constitutionnel et d’art parlementaire, couplé à une critique onctueuse du régime actuel. Un éloge du temps long, pour des textes où « chaque mot implique tous les Français ». À les écouter, lui et les autres conférenciers parlant de ces évènements, nous saisissons tout à la fois l’importance de l’histoire dans la constitution d’un corps professionnel et sa fragmentation en plusieurs versions, couches, fragments, dont certains vont devenir des mythes persistant évacuant les zones d’ombre. Des psychologues de « différentes générations » amenés à témoigner ramenèrent un contrechamp heureux à la focalisation sur la psychothérapie libérale, rappelant le travail avec les équipes, les réseaux, les territoires. Nous pouvions regretter que soit absente une génération des 20/25 ans qui pourrait témoigner d’autres perspectives : les terrains virtuels, les nouvelles formes d’emploi, le nouveau rapport au service public et à l’idéal professionnel.

La structuration de la formation du psychologue et de la construction de l’identité professionnelle ouvre l’après-midi. Un ensemble disparate composé de textes réglementaires et propositions théoriques, dont la thèse de Emmanuelle Truong Minh (2024), soutenue récemment. Il en ressort l’idée d’une profession amarrée sur des invariants, à la fois dans les représentations sociales et les représentations internes au corps professionnel. Mettant en avant leur appartenance historique, les organisations sont ensuite interrogées sur la manière dont ils accueillent les transformations et le foisonnement militant décrit plus haut. Vient le temps des partenaires politiques. Comme le ministre de la Santé, qui traitera quelques semaines plus tard avec une association encore plus compliante, la suractive Angèle Malâtre-Lansac est excusée, laissant à Frank Bellivier, encore, d’incarner l’action politique. Il produit un discours très court, presque atone, n’exploitant pas le temps à sa disposition. Le public, comme s’il avait retenu son souffle jusqu’alors, l’interpelle de manière vive, notamment sur le statut des psychologues hospitaliers et sur ses propos dans L’Express associant des troubles et des méthodes efficacement prouvées. Sa rhétorique ne parvient pas tout à fait à le dégager du dialogue. Dans cet ensemble de « partenaires » qui ne semblent pas nourris des discours qui précèdent ni de ceux qui suivent, Rodolphe Soulié de la Fondation hospitalière de France surnage, et il faudra lire son discours.

Xavier Briffault, chercheur du CNRS s’intéressant aux programmes de prévention en santé mentale, nous a offert une remarquable conclusion, reprenant avec malice les propos du jour et les mêlant à ses travaux. Les longs applaudissements nourris ne trompent pas, c’est un travail à découvrir. Le colloque se termine donc par un éloge de la disputatio universitaire, contre la science qui ferme. À un moment donné, le président d’honneur de la FFPP lance : « Ce qui reste, une fois les polémiques retombées, c’est la réglementation » : commentaire du passé qui sonnait comme un commentaire du présent. Nous sentions chez les organisateurs, qui avaient pourtant toutes les raisons d’être fiers, plus de soulagement et de lassitude que d’enthousiasme. La journée a eu lieu. Réussie. Très vite, pourtant, dès le vendredi soir et jusqu’au dimanche, le flux des réseaux sociaux reprit son cours et imposa sa temporalité et ses logiques de commentaire, étonnamment peu intéressé par les replays proposés.

Décentrements

S’il est un affect qui dominait dans cette journée, plus que la colère, l’ennui, la joie ou la mélancolie, pourtant présentes, il s’agit probablement de la surprise. Car dans les interstices d’un appareil idéologique rodé (voir la manière dont le doctorat est évacué), de dispositifs ne permettant pas toujours l’échange, ont pu se loger plus de choses que ce que nous attendions. Interpellations politiques, mouvements d’ouverture discrets, démarquages, invités subtils, dissensions. Cet événement est situé dans une constellation typique de la période 2020-2025, qui vient interroger le rapport à l’État des psychologues et le rapport des psychologues entre eux, entre défiance et alliance. Une ambiguïté traversera toute la journée : sommes-nous dans le colloque d’une organisation ou d’une profession ? Comment sont intégrées l’expression de la pluralité et l’intégration de la dissidence au milieu d’un discours institué ? Quelle est la ligne politique et quelles sont les divergences ? À l’orée d’un conseil fédéral et du renouvellement du pouvoir, les enjeux politiques internes à l’organisation étaient assez visibles.

Des points aveugles persistent, nombreux. La focale est mise sur le psychologue clinicien – quoique recouvre ce terme désormais – le sujet individuel et le soin. D’autres branches de la psychologie et des pans entiers de la pratique – les réseaux de prévention, la psychologie du travail, l’école, l’enseignement – s’ils sont représentés, par des organisations notamment, ne sont pas au centre du débat. Soigner efficacement, toujours. De la même manière, les patients semblent sans corps, sans lieux et sans territoires ; plusieurs interventions avalisent la disparition des centres médico-psychologiques : le psychologue n’est envisagé que comme libéral rendu inaccessible par l’absence de remboursement. Nos limites politiques se font sentir. Par exemple, de l’argent du psychologue, il fut beaucoup question. Soit qu’il gagne très bien sa vie, soit que le point d’indice n’ait pas été révisé. La question du statut est pourtant bien plus essentielle : quel est son socle, comment peut-il circuler, comment peut-il avoir une position critique ? Ainsi, il apparaît que les psychologues libéralisés, pris dans la spirale de « Mon parcours Psy », perdent ces capacités à analyser les discours sur la santé mentale. Ainsi, pressés de trouver leur utilité, et parfois leur rentabilité, ils proposent des dispositifs, des dispositions, et non la critique des dispositifs.

Face à ces soubresauts, une position médiane reste possible. Considérer que la période marquée par la centration sur le psychologue libéral aux dépens de la pluralité des inscriptions institutionnelles ne marque ni le début ni la fin, mais le fragment d’une histoire de l’organisation de la profession par l’État. C’est ce que montre de manière remarquable Thomas Le Bianic (2013) avec un article essentiel sur la structuration et la déstructuration de la profession de psychologue. Son seul défaut, comme les travaux d’Annick Ohayon, est qu’il s’arrête en 1985. Or la même période de temps s’est écoulée entre les moments fondateurs (1947/1954) et la loi de 1985, qu’entre cette loi et notre époque. Si nous excluons la perspective de la disparition du psychologue et son remplacement par l’IA, chacun est ramené à cette question intime : où serons-nous, individuellement et collectivement, pour les cinquante ans de la loi et qu’adviendra-t-il de cette histoire qui n’en finit pas de s’écrire ?

Bibliographie

• Bellivier, F., 2025. « Frank Bellivier : “Il faudra être passé en psychiatrie pour valider une formation de psychologue clinicien” », L’Express, 27.03.

• Le Bianic, T., 2013. « Une profession balkanisée : les psychologues face à l’État en France (1945-1985) », Politix, n° 102 (2).

• Carroy, J., Ohayon, A., et Plas, R., 2006. Histoire de la psychologie en France : xixe – xxe siècles, Paris, La Découverte.

• Truong Minh, E., 2024. Naître à l’Être professionnel : construction d’une identité professionnelle de psychologue chez les étudiants en psychologie et les jeunes professionnels psychologues, Thèse de doctorat soutenue le 28 juin 2024, Université de Lorraine.