Vers un dépistage précoce de l’autisme
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Vers un dépistage précoce de l’autisme

Dans le domaine si controversé de l’autisme, l’intérêt d’un diagnostic aussi précoce que possible est un des rares points qui fasse consensus. Pourtant ce n’est encore souvent qu’après 3 ou 4 ans, voire plus tard, que les enfants suspects de troubles autistiques sont vus par les services spécialisés, et il y a souvent encore un délai de plusieurs mois entre les premières inquiétudes exprimées par les parents et la mise en place d’une prise en charge. Il est évident que des progrès dans ce domaine dépendent avant tout de la coopération entre les équipes de psychiatrie et les professionnels responsables de la surveillance sanitaire des jeunes enfants. Mais il est nécessaire aussi que soient précisés des signes d’alerte susceptibles d’aider ces professionnels à se repérer dans une clinique subtile, dont l’interprétation est délicate. C’est ce qui suscite, actuellement, des recherches dans différents pays. Ces travaux soulèvent trois questions :

  • à quel âge est-il possible de dépister l’autisme ?
  • sur quels signes ?
  • que dépiste-t-on, en définitive ?

À quel âge dépister l’autisme ?

Cette question renvoie à une autre : à quel âge débutent les troubles autistiques. On sait que, dans sa première publication, Kanner indiquait que «les troubles autistiques du contact affectif» existaient «dès le début de la vie». En fait, les choses n’apparaissent pas si simples lorsqu’on analyse les données rapportées par les parents (Sauvage, 1984). Certains d’entre eux disent, effectivement, avoir remarqué dès les premiers mois, quelque chose d’anormal dans le comportement de leur bébé : indifférence ou déplaisir vis-à-vis des manifestations d’affection ou du contact physique, absence de contact visuel, pauvreté des mimiques faciales, absence de sourire dirigé vers autrui, absence de réponse aux sollicitations verbales, absence de gestes d’anticipation. Parfois, dès ce moment, des comportements stéréotypés (balancements, intérêt exclusif pour un objet) ont pu être remarqués. Mais, en fait c’est surtout rétrospectivement, après que le diagnostic d’autisme ait été évoqué, qu’une valeur est donnée à ces indices : il est assez rare que des parents consultent pour de tels signes, et lorsqu’ils le font, il arrive encore qu’ils soient trop hâtivement rassurés par le médecin à qui ils confient leur inquiétude. Dans d’autres cas, les parents disent n’avoir rien remarqué avant 12 ou 18 mois et décrivent un développement apparemment normal pendant toute la première année, voire pendant les deux premières années, puis un arrêt brutal et une perte des premières acquisitions.

La méta-analyse de 8 études publiées – totalisant 1512 patients- (Rogers & DiLalla, 1990) a précisé que les parents situaient le début des troubles vers la fin de la première année dans 38 % des cas, au cours de la deuxième année dans 41 % des cas, entre 2 et 3 ans dans 16 % des cas, plus rarement (5 % des cas) au delà.

Pour tenter de saisir plus objectivement l’autisme dans ses toutes premières manifestations, des recherches ont analysé des films ou enregistrements vidéo familiaux (Massie, 1978, Mazet, 1990, Malvy et coll. 1997). Des examinateurs, ne connaissant pas le diagnostic posé ultérieurement chez l’enfant, ont ainsi trouvé quelques différences significatives dès la première année, davantage au cours de la deuxième année (Mazet, 1990; Adrien et coll., 1993 ; Baranek et coll., 1999 ; Malvy et coll., 1997). Mais il faut noter que ces différences, relevées à l’aide de grilles d’évaluation préétablies et comparativement à des témoins normaux, sont relatives (durée des échanges par le regard par exemple), et n’apparaissent qu’à un examen minutieux des enregistrements. On comprend qu’elles ne soient pas évidentes à repérer dans les conditions d’une observation familiale ou d’un examen médical standard.

En outre, ces travaux ont confirmé l’existence de plusieurs modes évolutifs de la symptomatologie autistique initiale. Maestro et coll., (1999) décrivent trois modalités de début : soit progressif, dès le deuxième trimestre, soit régressif, généralement vers 18 mois. Dans des cas plus rares, les auteurs observent, entre 6 et 18 mois, des alternances entre des moments où l’enfant semble interagir normalement et d’autres où il présente des signes évocateurs d’autisme.

Ces données semblent donc bien confirmer que l’âge auquel se manifestent les premiers signes de l’autisme et leurs modalités d’apparition connaissent d’importantes variations interindividuelles. On peut déjà en conclure que si l’on veut intervenir au plus près de l’apparition des premières manifestations des troubles autistiques, il faut sans doute prévoir plusieurs examens de dépistages. Deux moments semblent privilégiés : la fin de la première année et le milieu de la seconde année.

Sur quels signes le dépistage peut-il s’appuyer ?

Si elles sont évocatrices, les classiques insomnies rebelles ou anorexies primaires graves signalées dans les anamnèses de certains enfants autistes sont en fait peu fréquentes.

Les signes précoces retrouvés rétrospectivement :

  • manque d’intérêt pour les interactions sociales,
  • défaut de réactivité ou d’adaptation tonique,
  • anomalies du regard,
  • ou simplement un bébé décrit comme «trop calme»,

sont souvent discrets, voire intermittents, difficiles à différencier des manifestations d’autres états pathologiques du très jeune enfant (dépression, situation de dé-privation affective, troubles sensoriels ou autres atteintes physiques).Ils ne sont en tout cas pas suffisants pour porter le diagnostic d’autisme, s’ils sont isolés. Pour certains auteurs d’ailleurs, l’évolution autistique au long cours ne serait qu’une des évolutions possibles, la plus grave, d’une réaction indifférenciée (évitement relationnel, A. Carel ; la réaction de retrait, A. Guedeney) elle-même susceptible d’être provoqué par toute une série de facteurs organiques et/ou environnementaux.

Les recherches actuelles

Compte tenu de la subtilité de la symptomatologie très précoce, l’intérêt se porte actuellement vers la mise au point d’outils de dépistage, suffisamment simples pour être utilisés par des médecins et des personnels de santé non spécialisés, dans le cadre des examens systématiques des nourrissons et des jeunes enfants.

Le seul instrument de ce type ayant fait jusqu’ici l’objet d’études de validation sur une grande échelle est la Checklist for Autism in Toddlers (CHAT). Issue des recherches de S. Baron-Cohen sur le développement des cognitions sociales («Théorie de l’Esprit»), la CHAT comporte 9 questions posées aux parents et 5 items d’observation par le médecin, l’infirmière ou la puéricultrice. Elle étudie spécifiquement trois comportements considérés comme des précurseurs de la Théorie de l’Esprit, et qui font habituellement défaut chez les enfants autistes : l’attention conjointe, le pointage proto-déclaratif et le jeu de faire semblant.

Une étude prospective portant sur une population de 16 000 enfants de 18 mois (Baron-Cohen et coll., 1996) a confirmé que la CHAT dépistait effectivement des cas d’autisme. Mais si sa spécificité semble, ainsi, bien établie, une autre étude de la même équipe (Baird et coll., 2000) indique que sa sensibilité est relativement faible : ce questionnaire ne dépisterait que 38 % des cas d’autisme et d’autres troubles envahissants du développement. Ceci montre peutêtre les limites d’une approche fondée sur une conception plus théorique que clinique. Il faut souligner en tout cas que la CHAT ne suffit pas à affirmer le diagnostic d’autisme, ce qui laisse entier le problème des instruments de diagnostic à cet âge. Il faut rappeler, en effet, que les échelles et questionnaires standardisés, — notamment l’ADI (Autistic Diagnostic Interview) qui est l’un des instruments de référence actuellement – ne sont, ni adaptés, ni validés, pour des enfants de moins de 2 ans.

Quant à l’âge de 18 mois, il semble bien choisi si l’objectif est de dépister le plus grand nombre de cas d’autisme en un seul examen. Mais il reste encore relativement tardif si on a l’ambition d’intervenir au plus près de la constitution des mécanismes autistiques, avant qu’ils ne se rigidifient.

Peut-on envisager un dépistage plus précoce encore? C’est ce à quoi tentent de répondre plusieurs recherches en cours. Elles s’appuient sur les connaissances acquises sur le développement précoce, ainsi que sur les données de la clinique très précoce des troubles autistiques ; elles doivent tenir compte aussi de l’âge fixé pour les examens de santé systématiques, qui diffère d’un pays à l’autre, ce qui complique la comparaison des résultats de ces recherches. Par exemple, l’étude hollandaise de Buitelaar et coll., (1999) commence à 14 mois, avec un questionnaire réduit, complété en cas d’anomalie suspectée par un examen à domicile.

L’étude multicentrique – à laquelle participent 11 équipes françaises (Bursztejn et coll.) – s’inscrit dans le cadre des examens obligatoires en France, au 9e mois et au 24e mois. Cette recherche prospective doit inclure une très large population de PMI et de consultation pédiatrique suivie pendant plus de deux ans. Pour l’examen du 9e mois, un questionnaire de 26 items a été élaboré. Il se focalise sur des éléments d’observation faciles à mettre en évidence dans les conditions habituelles d’un examen pédiatrique, qui explorent différents aspects de la communication préverbale et de l’établissement des premiers échanges avec l’environnement. Au 24ème mois c’est la CHAT, complétée par des items supplémentaires pour en améliorer la sensibilité, qui sera appliquée. Nous espérons que cette recherche permettra de sélectionner un petit nombre d’items qui pourraient être ajoutés aux questions actuellement prévues par le carnet de santé.
D’autres équipes travaillent sur des indices prédictifs fondés sur d’autres options théoriques : P. Delion, A. Bullinger et M.-F. Livoir-Petersen s’intéressent à des anomalies de la motricité et du tonus ; le groupe PréAut, animé par MC Laznik, cherche à confirmer, dès le 3e mois, la valeur prédictive de certains aspects des interactions mère-enfant correspondant, selon cet auteur, au «3e temps du circuit pulsionnel».

Que dépiste-t-on ?

Si la valeur prédictive des indices étudiés dans ces différentes recherches se confirme, il restera à préciser sur quoi porte le dépistage à des âges aussi précoces ?

Cette question renvoie à un problème fondamental posé depuis Kanner.

-l’autisme est-il un trouble ou un déficit spécifique inné dont l’expression est retardée au cours des premiers mois par la relative pauvreté du répertoire moteur et expressif du bébé ?

-ou s’agit-il d’un processus dynamique qui se constitue au cours des 2 premières années, ce qui n’exclut pas qu’il dépende de facteurs de vulnérabilité prénataux (génétiques ou autres). Dans ce cas les examens très précoces dépisteraient au plus un risque d’évolution autistique, voire un risque plus général de troubles du développement, dont l’autisme ne serait qu’une des éventualités évolutives.

Les données actuelles ne permettent pas de trancher cette question. On peut espérer des études prospectives en cours qu’elles aident à clarifier cette question fondamentale. Il est encore trop tôt pour prédire ce que seront les résultats de ces travaux ; il sera, en tout état de cause, intéressant de les comparer.

Il n’est pas encore certain que des examens très précoces permettent d’identifier spécifiquement des enfants à risque d’autisme, il est probable cependant qu’ils apporteront des connaissances précieuses sur le premier développement et qu’ils permettront de repérer et de traiter des situations menaçantes pour le développement psychique, un objectif aussi important du point de vue clinique, que du point de vue de la santé publique.

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Autisme : état des lieux et horizons