Evolution des classifications de l’autisme : leur intérêt et leurs limites actuelles
Dossier

Evolution des classifications de l’autisme : leur intérêt et leurs limites actuelles

Dans le domaine de l’autisme, il persiste des difficultés dans la dénomination du trouble, dans la détermination d’entités utilisables pour la pratique clinique et la recherche et dans l’identification des limites par rapport à d’autres classes diagnostiques. Cependant une évolution considérable s’est faite qui permet d’aborder les problèmes en fonction de données scientifiques et d’hypothèses explicites qui peuvent donner lieu à vérification.

Problèmes de dénomination

De nombreuses appellations ont été successivement et simultanément utilisées pour nommer le «trouble autistique du contact affectif» que décrit Kanner en 1943, et la «psychopathie autistique» d’Asperger en 1944. Tous les termes sont critiquables.

• Le terme de schizophrénie infantile n’est plus utilisé en France et dans les pays anglosaxons : la revue Journal of autism and Childhood Schizophrenia a été rebaptisée Journal of autism and developmental disorders. Il est certes inadéquat puisque selon Bleuler le désordre fondamental dans la schizophrénie est la dislocation des différentes fonctions psychiques. Encore faudrait-il qu’elles fussent déjà établies pour qu’elles puissent se disloquer, alors que chez le jeune enfant elles ne sont qu’en développement. «Tout d’abord, l’étiquette de schizophrénie entraîne chez beaucoup de psychiatres des vues très pessimistes sur le cas d’un enfant ; l’insulinothérapie, les électrochocs, voire la psycho-chirurgie risquent alors d’être appliqués avec quelque hâte…» (Lebovici, 1960).

• Le terme psychose assure la différenciation avec la schizophrénie. Mais l’ensemble des psychoses, dont au demeurant la schizophrénie fait partie, se définit comme une perte de contact avec la réalité, ou selon Freud, une désimplication du Moi de la Réalité. Margaret Mahler précise que «pour transposer cette idée à la psychose infantile, on doit insister sur le fait que le nourrisson a à devenir familier avec la réalité».

• Le terme «autisme» a trois défauts :

– Il est emprunté à Bleuler qui l’a utilisé pour la schizophrénie avec la définition d’un détachement de la réalité accompagné d’une prédominance de la vie intérieure. Il suppose donc une inscription préalable dans la réalité.

– Il dénomme un syndrome par le vocable d’un symptôme qui, s’il est important, n’est pas toujours présent. On peut donc parler d’autisme (syndrome) sans autisme (symptôme) !

– Il est validé par la description initiale du tableau par Kanner, et on ne devrait parler en toute rigueur d’autisme que lorsque la symptomatologie est conforme au tableau décrit. Or il y a eu une évolution dans les limites qui sont reconnues actuellement à ce syndrome.

• Le terme «trouble envahissant du développement» inscrit clairement les troubles dans le processus développemental et leur extension possible à des champs variés à partir de caractéristiques initiales supposées. Mais il ne précise pas de quelles caractéristiques initiales il s’agit.

Aucune de ces dénominations n’étant parfaite, le choix peut s’effectuer en fonction de représentations inexactes, comme cela a été le cas en France dans la compétition des termes psychose précoce et autisme utilisés de façon générique.

De façon caricaturale on peut dire qu’avec le mot «autisme», les notions fortes sont : troubles du développement, origine organique, déficit d’une ou plusieurs fonctions, anomalies somatiques et sensorielles, langagières, cognitives, exécutives, de la lecture des émotions, de l’empathie… handicap pour la personne, conséquences sur la famille, mesures éducatives. Avec le mot «psychose», les notions fortes sont : troubles de la personnalité, psychogénèse, place centrale de l’angoisse, rupture avec la réalité, mécanismes défensifs, mesures (psycho) thérapeutiques enfant et famille.

Les conceptions actuelles ne permettent plus d’opposer les facteurs organiques et environnementaux, l’éducation et la thérapie, le développement et la construction de la personnalité. La traduction de cette évolution se lit dans les principales classifications actuelles et dans les recherches qui visent à les améliorer.

Problèmes dans la détermination d’entités : variations et insuffisances dans les classifications actuelles

Il existe une convergence certaine dans l’évolution des principales classifications, française, nord-américaine et internationale, ce qui répond à un des objectifs élémentaires des classifications : permettre la communication entre professionnels et entre chercheurs. Mais il persiste des différences et des insatisfactions sur le plan clinique et sur celui de la recherche.

Tableau ci-dessous

On peut constater que le vocable «trouble envahissant du développement» est actuellement aussi accepté par la Classification Française à côté du terme de psychose précoce, avec la précision que cela n’implique pas une adhésion «à des théories étiologiques réductrices qui ont fait rejeter le concept de psychose tant par le DSM que par la CIM 10».

Dans les trois classifications, l’autisme typique est caractérisé par la présence de l’ensemble des signes du trépied autistique, survenu avant l’âge de trois ans. Le terme d’autisme atypique n’existe que dans la CIM 10 qui précise qu’il peut s’agir du caractère incomplet du syndrome ou du début tardif, la CFTMEA utilise le vocable «autres formes de l’autisme» pour le même syndrome, et dans le DSM, l’autisme atypique est inclus dans le plus grand groupe des TED non autrement spécifiés. Le syndrome d’Asperger se définit par l’existence d’un syndrome autistique sans retard du développement cognitif et du langage. L’autonomie de ce cadre reste discutée, la différenciation étant difficile avec l’autisme typique de «haut niveau», c’est-à-dire sans retard mental.

La Classification française maintient deux sous-catégories originales :

– la psychose précoce déficitaire où il y a intrication d’un retard mental important et d’emblée présent et de traits autistiques, dont les modalités d’expression varient avec l’âge. La différenciation peut être difficile avec les autismes comprenant une déficience mentale associée, le caractère massif et précoce du retard étant le critère pour la psychose précoce déficitaire.
– les dysharmonies psychotiques, où les signes de début sont plus tardifs, vers 3 à 4 ans, et variés dans leur expression (manifestations somatiques et comportementales, instabilité, inhibitions, phobies, dysharmonie dans le développement du langage, de la psychomotricité et des capacités cognitives). L’élément commun est l’existence de traits de la série psychotique, comportant une menace de rupture avec le réel, des affects d’une extrême crudité avec tendance au débordement de la pensée, des angoisses massives et une prédominance d’une relation duelle. Les correspondances de cette sous-catégorie peuvent être trouvées pour certains cas dans le syndrome d’Asperger, et pour d’autres dans les autres formes de Troubles Envahissants du Développement (CIM10) ou dans les Troubles Envahissants du Développement non autrement spécifiés (DSM IV). Une entité est proposée par D. Cohen aux Etats-Unis, avant validation dans le cadre d’une révision du DSM, le multiplex developmental disorder qui a beaucoup de similitudes avec la dysharmonie psychotique, sans toutefois qu’elle réunisse les signes dans un ensemble de la série psychotique (Tordjman 1997). Les trois classifications individualisent les troubles désintégratifs de l’enfance, avec une précision supplémentaire pour le Syndrome de Rett dans la CIM 10 et le DSM. Enfin la CIM 10 décrit un syndrome d’hyperactivité associé à un retard mental et à des stéréotypies, dont le caractère valide est actuellement incertain.

tableau im1

Quels que soient les efforts faits pour déterminer les critères de ces sous-groupes, il y a des formes intermédiaires et lors de l’évolution d’un enfant la modification du tableau clinique peut introduire un changement de catégorie. Il faut donc admettre qu’il existe un continuum entre les différentes formes de l’autisme, ce que l’on désigne sous le nom de spectre de l’autisme. De ce fait, l’approche dimensionnelle pourrait se justifier. Les outils diagnostiques qui la soutiennent tendent à admettre l’équivalence des items qui sont additionnés pour produire un index de sévérité et définir un seuil pour faire le diagnostic de l’autisme (Volkmar 1998). Ils ont un intérêt pour produire des mesures dans les études d’évaluation thérapeutique, mais les erreurs de diagnostic par excès ou par défaut sont nombreuses dans les deux extrêmes du spectre autistique. Si les classifications ont le mérite de favoriser un consensus sur la description d’un certain nombre de paramètres, la validité de ces diagnostics, c’est-à-dire leur liaison avec des facteurs explicatifs, la prévision de l’évolution et l’application de thérapeutiques spécifiques, reste incertaine.

Problèmes des limites par rapport aux autres classes diagnostiques

Les variations de conceptions de l’autisme et des classifications se traduisent par une extension du champ de l’autisme, ce qui est bien indiqué par les différences de prévalence. Selon l’analyse de 23 études internationales de langue anglaise réalisée par E. Fombonne (1999), la prévalence médiane est de 5,2 / 10.000, mais ce taux augmente dans les années de publication après 1989 où il est de 7,2 / 10.000. Actuellement, les taux les plus retrouvés sont autour de 1/1000, et avec l’extension du repérage de formes comme le syndrome d’Asperger, des taux voisins de 2/1000 ont été rapportés. Il n’y a pas de retard mental dans 19,3 % des cas, alors qu’il existe un retard léger et moyen dans 29 % et sévère ou profond dans 41, 9 %.

Les incertitudes de diagnostic existent avec des syndromes de retard mental, par exemple celui lié à l’X fragile où dans certains cas il y a association avec autisme, alors que le plus souvent le tableau est différent. La même question se pose pour les dysphasies, en particulier la forme sémantique et pragmatique. Enfin Ch. Gillberg (1992) mentionne des cas limites avec des syndromes associant déficit attentionnel, du contrôle moteur et des perceptions.

On peut penser que les progrès dans la détermination des critères permettront de distinguer chacun de ces syndromes; au contraire, on peut aussi penser que ces frontières floues sont la marque de l’existence d’éléments communs à des pathologies artificiellement différenciées et qui trouveront leur unité à partir d’une meilleure connaissance de facteurs étiologiques ou de réponses identiques à des thérapeutiques spécifiques.

Conclusion

L’intérêt des efforts classificatoires pour la recherche et la communication scientifique est incontestable. Mais sur le plan clinique, aucune classification n’est à même de remplacer l’évaluation individuelle des capacités et des difficultés de l’enfant, de sa position personnelle dans son groupe familial, qui est le support à la prise en charge. La complémentarité de ces deux démarches nous paraît indispensable et actuellement possible.

dossier
24 articles
Autisme : état des lieux et horizons