Plus d’un siècle après l’Interprétation du rêve, nous nous attachons à aller chercher chez Freud le germe, sinon l’ébauche, de toutes les nouvelles tournures que prend la psychanalyse au fil du temps. Déterminante et immense, généreuse comme une oasis inépuisable, l’œuvre freudienne se laisse tordre et retordre, et semble ployer sans casser. Une telle recherche d’identification avec le maître valide celui qui la mène, et rassure quant à notre avenir : la psychanalyse reste la psychanalyse. Ouf ! Le monde reste le monde ! Mais, avouons-le, plus le siècle avance, plus les modèles sociaux et les schémas culturels changent, plus le champ psychanalytique s’étend aussi par-delà son périmètre (névrotique) initial, ébranlant bien des repères. Les traditions et les écoles se multiplient, les techniques se réinventent, se transforment.
Du refoulé qui pousse vers une voie d’expression en trompant la censure, à l’expérience vécue qui reste tout simplement enfermée dehors, brute et crue, non pensée et non intégrée, la clinique s’est mise à exiger autre chose de l’analyste que son seul silence neutre et bienveillant, ses ponctuations suggestives, ses introspections calfeutrées. La seule maïeutique du désir refoulé ne rend plus compte des ébranlements de nos âmes car il n’est pas certain que la dissociation ou le clivage contiennent quoi que ce soit de désirant ou de fantasmatique, sinon la force de la destructivité, voire le néant. L’analyste contemporain, plongé dans le bain du dés-humain, fait alors de la relation analytique, c’est-à-dire de l’espace du transfert-contretransfert, l’ultime réduit tutélaire des altérités intolérables. Il se bat pour ainsi dire à mains nues.
Le paradoxe est que plus la psychanalyse s’étend, plus elle devient défensive. De discipline conquérante, collée à la modernité et aux Lumières, profondément liée à un projet de découvertes civilisatrices…
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