Le psychodrame avec les enfants et les pré-adolescents
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Le psychodrame avec les enfants et les pré-adolescents

De Saint-Vincent-de-Paul à Necker, de l’individuel au groupe, des pathologies non-névrotiques aux pathologies névrotiques, des affects irreprésentables aux émotions incarnées, de la narrativité préverbale à la mise en récit, le dispositif du psychodrame psychanalytique individuel et du psychodrame psychanalytique individuel en groupe accompagne notre trajet institutionnel depuis un certain nombre d’années, au plus grand profit, nous semble-t-il, des patients comme de l’équipe.

Fondé sur le transfert individuel et groupal des patients, porté sur le meneur de jeu, son équipe et l’institution, le psychodrame analytique suscite le plaisir du fonctionnement mental, groupal et corporel des thérapeutes, plaisir parfois conflictuel dans l’analyse de leur intertransfert. Ce dispositif nous semble précieux car il est, dans certains cas, le seul à même de pouvoir répondre à des troubles associant inhibition et excitation dans un manque de représentance intrapsychique. Là où le fantasme vient à manquer s’impose la pathologie de l’acting, la désym-bolisation et la désubjectivation des enfants et des adolescents qui nous sont confiés. Il importe donc de réinstaurer une vie psychique en déroute par le plaisir du jeu et de la pensée.

Les psychodrames pour enfants et adolescents se font presque toujours en institution. Le plaisir pris par l’équipe suscite parfois de l’envie et elle doit y faire face. C’est une dimension institutionnelle incontournable en la matière, suscitant une curiosité plus ou moins destructrice que ces quelques lignes et ce dossier de Carnet Psy n’assouviront pas, mais qui peut aussi se transformer en émulation constructive pour la part des équipes ne participant pas au psychodrame pratiqué dans leurs institutions.

Pour en venir plus directement aux patients, nous dirons quelques mots de l’impact transférentiel lié à des groupalités variables selon les âges, la composition des groupes, et la coexistence au sein de notre service de pédo-psychiatrie de psychodrames individuels et de psychodrames individuels en groupe. Il importe en effet de départager les diverses facettes du transfert qui jouent de ces différences.
Le transfert ne se limite pas à celui des patients sur le meneur de jeu et au contre-transfert de celui-ci sur eux. Il faut aussi tenir compte du transfert individuel ou groupal sur le groupe des thérapeutes, du transfert des patients les uns sur les autres et du transfert entre les thérapeutes qu’on peut nommer intertransfert. Reste enfin à prendre en compte la problématique déjà soulevée des réactions de l’institution sur le psychodrame analytique lui-même et sur l’équipe qui le pratique. Ce jeu de résistances par la haine et l’amour est la source de toutes nos interprétations, qu’elles soient verbales ou “jouées” et quel que soit le participant ou le groupe de participants qu’elles visent.

L’hétérogénéité de l’âge des patients dans un même groupe

Au fil du temps, l’éventail des âges de nos patients s’est progressivement élargi, incluant de plus en plus souvent des enfants en période dite de latence et des pré-adolescents, soit des sujets chez lesquels émerge, ou réémerge, quelque chose des expressions régressives de la pulsionnalité tant sur le plan psychique que physique, corporel ou comportemental. Ces sujets nous semblent en effet confrontés à des transformations, sources d’inquiétante d’étrangeté -inductrices de peur, de honte ou de haine- et alors susceptibles d’être perçues chez l’autre comme des parties de soi projetées, mais de ce fait reconnues et réappropriables au sein du groupe et des sous-groupes (patients et thérapeutes). Peur et plaisir s’y trouvent parfois, si ce n’est le plus souvent, intimement mêlés.

Les différences d’âge permettent aux plus jeunes d’anticiper sur les troubles physiques et psychiques de l’adolescence qu’ils n’ont pas encore atteinte et, pour les plus âgés, de retrouver les ressources de la latence sur lesquelles ils n’ont pas pu compter pour lester leur traversée des incertitudes dépersonnalisantes du deuxième temps du complexe d ’Œdipe.

L’hétérogénéité des troubles dans les groupes de patients

À la différence des structures psychopathologiques des patients pour lesquels un psychodrame s’avère indiqué, répond la différence des cadres disponibles : soit psychodrame individuel, soit psychodrame individuel en groupe. Après avoir posé l’indication d’une psychothérapie, la question de la technique souhaitable surgit, en effet, immédiatement pour le consultant. On entend souvent dire, ou on a souvent entendu dire, que le psychodrame peut être proposé à des patients qui seraient “incapables” de faire une psychothérapie duelle classique. Ceci est parfois vrai quand il s’agit, chez certains patients, non pas tant d’une carence de fantasmatisation verbale que d’un défaut de liaison entre les représentations de mots et les représentations d’affects. Mais, sans doute faut-il ici tenir compte également du contre-transfert, ou de l’anticipation que l’éventuel thérapeute s’en fait, et qui l’amène parfois à penser, à tort ou à raison, qu’il va s’ennuyer, se tarir ou se paralyser psychiquement avec tel ou tel patient. Dans ces cas, le groupe de thérapeutes, avec sa capacité de diffraction transférentielle, est appelé implicitement à la rescousse.

Dans d’autres cas, c’est l’étayage des patients sur leurs pairs qui apparaît comme un levier intéressant. Le groupe des enfants est alors sollicité comme outil thérapeutique, incluant un mouvement dialectique subtil entre les différents niveaux de fonctionnement psychique (plus ou moins archaïques ou névrotiques, plus ou moins régrédients ou progrédients) des différents patients.

L’hétérogénéité de l’équipe

À la différence entre le meneur de jeu et les acteurs, nous ajoutons notre recours régulier à une fonction de “secrétaire du psychodrame”, généralement tenue par une psychologue-stagiaire, fonction dont l’pport nous semble fort précieux sur trois plans au moins :

  • celui du recueil du contenu des séances sous la forme d’une narrativité écrite qui fait contrepoint à la narrativité verbale propre au dispositif du psychodrame,
  • celui de sa mise en forme par un tiers neutre mais inclus cependant dans le cadre et donc, la possibilité de sa relecture dans des temps seconds,
  • celui enfin de la formation de cette stagiaire qui peut ainsi “participer” au traitement à partir de sa place d’observateur et jouer pour les patients le rôle passif de surface de projection tout en s’’interrogeant sur ses propres mouvements contre-transférentiels.

L’hétérogénéité des modalités de jeu

Pour des raisons différentes de l’un à l’autre, les patients que nous prenons en psychodrame présentent une fragilité de leur fonction de faire-semblant, comme s’ils devaient apprendre à jouer, à faire-semblant de faire-semblant ; autrement dit leurs faux-selfs sont soit trop solides, soit trop mal constitués. De l’inhibition serrée à l’hyperactivité désordonnée, tout peut cliniquement en rendre compte, la souffrance individuelle et familiale étant toujours présente. Ainsi, tous les degrés existent entre une symbolisation en souffrance et une symbolisation apte à permettre les processus de subjectivation.

En fonction de la vulnérabilité narcissique des patients, le psychodrame individuel ou le psychodrame individuel en groupe permettent d’offrir une scène où ces différents niveaux de faire-semblant pourront être travaillés, supportés et affectés. L’indication de psychodrame individuel est posée soit pour les patients au narcissisme suffisamment solide, soit pour ceux dont les processus pervers sont incompatibles avec la constitution d’un groupe d’autres patients. Ainsi se met en place et en questionnement l’enjeu du jeu qui rejoue les réactions anti-traumatiques trop faibles ou trop excessives face à des blessures encore en attente de symbolisation.