Comment la vie institutionnelle peut améliorer l’image de soi des jeunes handicapés mentaux
Dossier

Comment la vie institutionnelle peut améliorer l’image de soi des jeunes handicapés mentaux

Les constats

Les idéaux de la société actuelle exaltent la dimension narcissique de l’apparence de soi. Cela engendre une attitude paradoxale vis-à-vis du handicap. Dans les médias, l’hyper-valorisation des personnes handicapées qui réalisent des performances sportives coexiste avec l’angoisse de la perte des fonctions intellectuelles liée au vieillissement ou aux troubles du développement psychique. L’expérience acquise au cours du travail avec les jeunes handicapés mentaux nous incite plutôt à comprendre comment ils peuvent « se penser » quand, après la poussée pubertaire, ils vivent une crise en découvrant à la fois de nouvelles possibilités d’autonomie mais aussi les limites et les obstacles à la réalisation de leur désir de liberté. Ce phénomène est encore plus crucial au moment où ces jeunes adultes quittent les structures d’apprentissage et se confrontent à la réalité du fonctionnement de la société. Ce passage peut être positif lorsqu’ils ont acquis une estime de soi suffisante et que leur insertion sociale s’effectue avec le soutien de leur entourage et des équipes qui les ont conduits vers cette autonomie. A l’inverse des moments de crise, des mouvements dépressifs et de découragement traduisent une insuffisance de la qualité d’un narcissisme qui n’a pas pu suffisamment se construire.

Le regard porté sur les jeunes handicapés mentaux

L’essentiel réside dans le regard qui est porté sur ces jeunes. Or, la dysharmonie de leurs capacités leur donne souvent l’impression qu’ils ne peuvent pas compter sur eux-mêmes. Il est indispensable qu’un regard valorisant leur permettent de s’approprier leurs réussites, d’aborder aussi les difficultés et les échecs. Ce regard les accompagne dans les différentes étapes de leur développement en sachant qu’ils devront, à un moment donné se séparer de ceux qui les ont soutenus. En 1996, le livre de Simone Korff-Sausse, Le miroir brisé est venu éclairer opportunément le malaise que provoque le handicap dans notre société. Elle a eu le courage d’insister sur les aspects féconds de la rencontre avec ces jeunes qui ne sont pas comme les autres et nous a fait part de son questionnement : « Qu’ont-ils à me dire ? Comment peuvent-ils me le dire? Où m’emmènent-ils ? ». Elle a insisté sur le fait que le handicap physique et mental mobilise l’angoisse de castration et la peur de l’autre avec une telle intensité que ce regard inquiet va questionner le jeune et le conduire à se demander : « Qu’est-ce que j’ai fait ? Que m’est-il arrivé ? Quelle est mon histoire ? Quelle est ma maladie ? » Des personnes bien intentionnées peuvent alors l’aliéner dans le statut de celui à qui il faut cacher la réalité car il ne pourrait la comprendre ou, à l’inverse, lui dire la vérité dans un souci de transparence. Les études concernant les représentations des handicaps chez les enseignants et les travailleurs sociaux ont montré que la rencontre avec le handicap est toujours un traumatisme psychique pour ces professionnels. Elle suscite des réactions de peur et de fuite (même dans l’hyperactivité généreuse). Ces professionnels doivent toujours être attentifs à l’atteinte narcissique que génèrent les situations de handicap en raison de la confrontation aux regards des autres.

Comment les équipes institutionnelles travaillent actuellement ?

Chaque institution a son style et son organisation. Elles ont en commun le souci de permettre aux jeunes l’accès à l’autonomie par une individualisation de la prise en charge et la mise en valeur des différents temps de leur histoire dans l’institution. La qualité des échanges entre les personnes et l’organisation de temps de parole dans la vie institutionnelle constituent un des objectifs majeurs de ces équipes qui s’efforcent de permettre aux jeunes de s’inclure dans la société actuelle en s’appuyant sur l’image positive qu’ils ont d’eux-mêmes.

La qualité des réponses des adultes

Chez les jeunes handicapés mentaux, les troubles portant sur la vie relationnelle et les procédures cognitives perturbent la construction de leur image de soi. La discontinuité de leurs processus psychiques, la variabilité des affects qu’ils éprouvent, font vivre à chaque membre de l’équipe des sentiments opposés, parfois incohérents entre eux. Cela peut entraîner des clivages dans les attitudes des adultes et des conflits dans la formulation de leurs réponses. L’instauration d’un système de lecture cohérent permet au groupe professionnel de donner un sens aux conduites des jeunes. Les paroles des adultes leur proposent une figuration de l’image qu’ils ont d’eux. Cela passe aussi, dans la vie quotidienne, par des mises en scène d’attitudes des adultes qui signifient, par exemple leur colère, ou à l’inverse un moment de satisfaction, une relation de gratification. Elles ont une fonction de mise en représentation et participent au mouvement de subjectivation de ces jeunes en leur renvoyant une image d’eux-mêmes. Enfin, pendant l’enfance, la rencontre entre deux personnes –l’adulte et l’enfant – ne peut réellement advenir qu’à la condition qu’elles soient séparées et individualisées, d’où l’intérêt d’un travail personnalisé qui permet de donner à l’enfant ses repères propres. Beaucoup d’équipes ont institué la fonction de référent, ce personnage tiers qui accompagne l’enfant dans la durée et présente à ses parents l’image que le groupe institutionnel s’est fait de l’enfant réel qu’il côtoie et qu’ainsi il a appris à connaître. Ces rencontres répétées régulièrement permettent la reprise d’un processus de reconnaissance mutuelle et créent un mode d’échange avec les familles et l’enfant, qui introduit la temporalité. L’accès à une représentation spéculaire est un des buts poursuivi. Il paraît atteint lorsque dans des rencontres avec ses parents, un enfant s’accorde la possibilité de décrire ses activités, ses difficultés, et les affects qui leur sont liés. Ces modalités de travail sont maniées différemment pour s’adapter au moment de la puberté.

Les rituels de passage

Pour que le temps passé en institution prenne la valeur d’une histoire commune qui puisse constituer une partie de l’histoire propre du sujet, plusieurs équipes s’adressant aux adolescents et aux jeunes adultes ont cherché à mettre en place des rituels de passage au moment de la majorité. Par exemple : un contrat de jeune majeur est le texte de référence d’une loi écrite qui fixe les droits et les devoirs de chaque jeune. Il comporte des clauses identiques pour tous et des clauses particulières pour chacun en fonction de son degré d’autonomie. Il est signé par le jeune et le représentant de l’établissement et ses parents, dans un moment solennel et ritualisé. A d’autres périodes particulièrement déstabilisantes l’équipe s’efforce d’assurer accueil et sécurité, éducation, scolarisation, accès à l’autonomie et aussi soins psychiques. Le travail en équipe pluridisciplinaire conduit à élaborer des conduites communes à partir de positions de départ et de postures différentes. Cette élaboration crée une culture du métissage et s’oppose à la force des clivages et des rejets. Il faut donc une loi simple, claire, valable pour tous, même pour ceux qui l’énoncent.

Les réunions institutionnelles et des groupes de paroles dans les institutions

L’instauration de réunions regroupant les membres de l’équipe et les jeunes ne s’est pas faite aisément. L’expérience aidant, les équipes ont découvert que ces temps consacrés à parler des événements de la vie quotidienne et des règles du vivre ensemble constituaient des moments fondamentaux de la vie institutionnelle. Bien que ce type de réunion apparaisse souvent comme une lourde tâche à réaliser, les bénéfices tirés de cet accompagnement à la prise de parole doivent être soulignés. Quand un temps de parole (post-group) permet la reprise de ce qui s’est déroulé, les adultes peuvent remarquer comment ils peuvent prendre conscience du fonctionnement collectif qui va ou non permettre l’issue d’une prise de parole. Les groupes de paroles destinés aux jeunes leur permettent d’abord d’éprouver le fait que, dans ce petit groupe, parler ne détruit pas, même s’il s’agit de paroles agressives, pour peu que des adultes tiers, contenants, puissent médiatiser l’expression de cette agressivité verbale. De plus, beaucoup de jeunes adolescents ont besoin de recevoir une réponse immédiate à la tension venant d’un mouvement pulsionnel. La confiance qui est accordée au groupe qui donnera une réponse plus tard, permet de supporter une réponse différée. C’est un des bénéfices de la pratique des réunions régulières hebdomadaires.

La participation à un groupe de paroles constitue pour nombre de jeunes une expérience nouvelle qui modifie leur système de valeurs puisque beaucoup d’entre eux ont vécu dans des familles où paroles et coups étaient échangés de manière indistincte et confuse. Parler équivalait à donner des coups qui constituaient un mode de communication. En prenant conscience de leurs capacités de s’exprimer verbalement, les jeunes vont acquérir une meilleure image d’eux-mêmes sous le regard des adultes de leur institution. Ils auront ensuite à expérimenter que cette confiance peut se maintenir en dehors de l’institution dans le travail d’expérimentation de la séparation et de l’autonomisation vis-à-vis des adultes tutélaires protecteurs.

Les groupes de parole des membres de l’équipe

Les adultes ne peuvent vraiment donner la parole aux jeunes que s’ils disposent eux-mêmes de temps de groupe de paroles. Dans ces réunions, une partie du travail est consacrée à l’analyse de la distance dans la relation avec les patients. Cette prise de distance permet de quitter l’identité professionnelle de soignant ou d’éducateur pour retrouver sa propre vie personnelle et sa capacité de rêver et de repérer les processus qui permettent ou empêchent une figuration dans les groupes. L’épuisement des adultes dans leur vie professionnelle est lié à l’introjection d’éléments chargés de destructivité. Pour qu’une mise en mots de l’expérience vécue puisse se réaliser dans les groupes de parole, ceux-ci doivent clairement faire partie de l’organisation institutionnelle. Ils constituent la trame du réseau institutionnel et rendent possible la résolution des conflits entre les personnes, en limitant les conduites d’emprise.

Mais les groupes de paroles ont leurs limites. Se réunir en groupe pour parler n’est pas si évident ; car il existe réellement une angoisse de la mise en groupe. L’éclairage du travail institutionnel par un psychanalyste prend alors toute sa valeur. Lorsque des équipes se sont organisées pour bénéficier de ce regard tiers, celui-ci permet une élaboration clinique et théorique qui prolonge la réflexion des auteurs du Psychanalyste sans divan. Il influence la vie d’une institution, les conduites des soignants et la situation des patients en désignant des figurations permettant le changement d’un regard qui permet de voir autrement les conduites d’un jeune.

Les nouvelles relations avec les familles et le travail en réseau des équipes

Les familles ne sont plus l’objet de discrimination ou de stigmatisation mais elles sont partenaires. Cette relation de partenariat a créé une nouvelle dynamique qui, dans la plupart des cas, permet de résoudre les conflits de pouvoir et d’appropriation des jeunes handicapés qui peuvent se développer entre les groupes professionnels et les familles, avec les associations de familles, avec les structures administratives et la société. Au moment de se constituer en réseau, les équipes prennent conscience de l’hétérogénéité des représentations que les uns et les autres se font du travail de chaque institution. Cela rend difficile la cohérence des indications de prise en charge des jeunes. Or, les accidents de parcours (rupture brutale de prise en charge, accompagnement insuffisant ou inadapté, orientation difficile ou impossible) ont un effet traumatisant sur les jeunes, les familles mais aussi sur les membres des équipes. Les expériences de réseaux plus ou moins formalisés montrent qu’il est possible de relier des positions institutionnelles différentes. Grâce à un long temps de travail de reconnaissance mutuelle, une patience dans l’affrontement aux conflits, l’expérience du fonctionnement d’un réseau qui prend en compte l’altérité, entraîne une amélioration notable du climat des relations entre les équipes et avec les familles.

Parler du travail avec les jeunes handicapés mentaux, c’est transmettre une culture

Ce style de travail dans la communauté et cette implication personnelle doivent être présentés de manière adéquate aux jeunes membres des équipes qui peuvent ainsi découvrir les problématiques des processus de changement. Cela confère une grande importance au temps de la formation continue qui permet à chacun d’effectuer à son rythme propre, une démarche personnelle concernant son implication dans sa relation au sujet en situation de handicap, à son environnement et au regard que la société porte sur ceux qui sont en situation de souffrance. Travailler sur l’image de soi des jeunes handicapés constitue un « travail de la culture », c’est-à-dire une élaboration de représentations nouvelles jusque-là inconnues qui enrichit tous ceux qui acceptent d’être concernés par la déficience mentale : jeunes, entourage familial, personnels des équipes.

Bibliographie

Charpentier M.C., Loichet S., Voizot B. (2007), «Une expérience de travail en réseau : le Réseau Ouest Sanitaire Médico-Educatif et Social du Val de Marne», Vie Sociale, 1, 43-47.

Houver J. (1996), «Le réseau», Actual. Med. Int. Psychiatrie, p.10-11.

Lang J.L. (2002), Psychanalyse et institutions pour enfants, Paris, PUF.

Mises R. (1990) Les pathologies limites de l’enfant. Paris, PUF.

Plaoutine-Stuckelberg B., Voizot B. (1992). «Intérêt de la fonction de « référent » dans la prise en charge institutionnelle des enfants psychotiques et déficitaires», in Etat de la Recherche en déficience mentale, Paris, éditions AIRHM.

Racamier P.C. (2008), Le psychanalyste sans divan, Paris, Payot.

Sausse S. (1996), Le miroir brisé. L’enfant handicapé, sa famille et le psychanalyste, Paris, Calmann-Lévy.

Utrilla-Robles M., (2003) Traiter l’enfant en institution, Launay, Delachaux et Niestlé.

Voizot B. (1980), Evolution des jeunes sortis d’un E.M.P. de la région parisienne, Paris, Ed. C.T.N.E.R.H.I.

Voizot B., Charpentier M.C., Loichet S., Buferne R., Jousselme C. (2009), «Le travail en réseau, échanges entre institutions et investissement des espaces interstitiels», Neuropsychiatrie de l’enfance de l’adolescence, 57, 6, 517-522.

Comptes-rendus de journées scientifiques et de colloques

Psychiatrie Française, (2008), volume 39, N°2, «Handicap mental de l’enfant. Scolarisation, intégration, égalité des chances».

Neuropsychiatrie de l’enfance et de l’adolescence, (1992), 40, N° 2, «La sexualité des jeunes handicapés mentaux».

Neuropsychiatrie de l’enfance et de l’adolescence, (1995), 43,12, «Pathologies déficitaires à l’adolescence».

Neuropsychiatrie de l’enfance et de l’adolescence (2003) 51, 7, «La fratrie des jeunes handicapés mentaux».

Neuropsychiatrie de l’enfance et de l’adolescence (2011), 59, 4, «Quand les parcours thérapeutiques croisent la maison des personnes handicapées».

Association scientifique de psychiatrie institutionnelle (AsPI), Publication des travaux des Assises de la psychiatrie médico-sociale, Marseille 2007, Lille 2009.

Association Internationale de Recherches scientifiques en faveur des personnes handicapées mentales (AIRHM), liste des publications sur le site : www.airhm.org.

dossier
20 articles
Le handicap, un nouveau paradigme ?