L’intérêt de cette publication sur “l’anomalie cérébrale qui empêcherait les autistes d’identifier la voix humaine” est assurément de préciser un corrélat neuro physiologique pour certaines personnes atteintes d’autisme. Cet intérêt est aussi de nous montrer que les troubles du langage que l’on observe chez de nombreux autistes ne sont pas seulement des troubles de la communication (comme nombre de linguistes qui se sont intéressés aux troubles du langage autistique veulent le croire), mais qu’ils peuvent concerner leurs représentations de mots et leurs perceptions de sons vocaux. De leur côté, les approches psychanalytiques et sémiologiques de l’autisme ont déjà abondamment montré que, bien souvent, les autistes traitent les signes verbaux ou les tonalités de la voix, porteurs de sens, comme de simples stimuli sonores et qu’ils entretiennent ainsi cette “auto-sensualité” décrite par F. Tustin.
Nous voyons néanmoins dans cet article et dans la suite médiatique qui lui a été donnée, au moins trois dérives : la première transforme un corrélat physiologique du trouble de certains autistes en la cause de ce même trouble ; la seconde transforme un écart statistique, entre un groupe apparemment homogène de sujets contrôles et un groupe nettement hétérogène de sujets autistes, en une conclusion générale englobant tous les sujets autistes ; la troisième dérive enfin transforme des données qui se prêtent à la discussion scientifique, en un scoop médiatique. Ces trois dérives aboutissent en quelque sorte à nous proposer de prendre les vessies, de notre incertitude persistante quant aux causes de l’autisme, pour de nouvelles lanternes scientifiquement garanties !
La dérive du corrélat à la causalité !
En lisant attentivement la publication originale, on apprend que parmi les 5 sujets autistes inclus dans cette l’étude, âgés de 25 ans, l’un d’eux n’a pas montré l’anomalie cérébrale identifiée chez les 4 autres. Mais on apprend aussi que le nombre d’autistes en quelque sorte “atypiques”, au regard de cette étude, s’élève à 2 sujets sur les cinq suivis si on élargit quelque peu la zone cérébrale prise en compte dans l’analyse des résultats. Ceci témoigne qu’il ne s’agit aucunement d’un déterminisme unilatéral de l’autisme mais d’un corrélat (un trouble physiologique en relation avec le trouble autistique) repérable chez une proportion variable d’autistes selon que l’on délimite plus ou moins strictement la zone cérébrale que l’on considère. Par ailleurs, d’innombrables études ont montré que le cerveau d’un jeune animal se modelait aussi en partie selon ses expériences vécues dans son environnement -ce ne peut être qu’accentué pour un enfant. En d’autres termes, il y a tout lieu de penser que l’on retrouve ici l’effet de “spirale interactionnelle” qui fait qu’une personne de 25 ans qui, pour diverses raisons, s’est isolée dans son coin une bonne partie de sa vie, s’est aussi privée de la richesse de stimulations de son environnement et que son cerveau en a imprimé parfois des traces dans son mode de fonctionnement.
La dérive de la statistique d’un groupe aux conclusions sur les “individus” ou “sujets” !
L’article mentionne bien que les sons de la voix humaine suscitent une activation plus grande de la zone cérébrale considérée, chez la totalité des 8 sujets “contrôles” et non dans le “groupe d’autistes”. Mais, au paragraphe suivant, il conclue “Ainsi les sujets autistes,… ne montrent pas l’activation sélective observée chez les normaux”… Ils ont un sévère déficit, …”. Ces résultats suggèrent que les individus autistes peuvent être incapables de traiter les stimuli vocaux …
Nous pourrions tout aussi bien y trouver la confirmation du fait que les sujets autistes différent entre eux plus que les sujets non autistes, ou plus que nous différons entre nous. Cet article nous montre que cette hétérogénéité, ou cette gamme étendue de singularités, se retrouve également dans leur fonctionnement cérébral. Il reste à en tirer les conclusions pour éviter d’entretenir les trop fréquents malentendus quant aux “déterminismes biologiques de l’autisme”.
La dérive du scoop médiatique
Il est étonnant que nombre d’articles de vulgarisation (Le Monde du 23/08/04, … ), parfois presque aussi longs que l’original, n’en lèvent nullement les ambiguïtés mais en rajoutent ! En gommant la variabilité des résultats neurologiques obtenus pour les patients autistes inclus dans cette étude, ils ne font qu’accentuer cette dérive du corrélat à la cause. Par ailleurs, les journalistes scientifiques savent aussi bien que les neurologues que le cerveau d’un enfant se construit aussi selon ce qu’il reçoit de son environnement – mais, ce que les neurologues n’ont pas besoin de répéter à leurs collègues, les journalistes pourraient le dire à leurs lecteurs pour éviter de grossiers malentendus.
Dans ces soixante dernières années qui nous séparent des premières descriptions de ce trouble par Léo Kanner et H. Asperger, nous ne comptons plus le nombre de scoops médiatiques qui nous ont annoncé quelque révélation sur tel ou tel déterminisme biologique ou psychogénétique de l’autisme – en véhiculant et en amplifiant les illusions déterministes sommaires de quelque chercheur de l’un ou l’autre bord. Aujourd’hui, nombreux sont ceux qui croient que, le jour où l’on trouvera la ou les “bases biologiques” spécifiques de ce trouble, on pourra faire l’économie de toute approche du fonctionnement psychique des sujets qui pâtissent de ce trouble. L’histoire de ceux que l’on appelait hier les “mongoliens” et que l’on a rebaptisés “trisomiques”, pourrait nous inciter à penser le contraire : leur trouble biologique ample et avéré (sans avoir recours à des subtilités statistiques) leur laisse une très large gamme de développement psychique. De son côté, si l’histoire de la neurologie est plus récente, elle a néanmoins déjà fournie nombre d’exemples d’une étonnante variabilité de fonctionnements des cerveaux humains. Il nous reste à approfondir nos connaissances du fonctionnement psychique des personnes atteintes d’autismes d’autant que cela restera long-temps encore la principale voie pour remédier tant bien que mal à leurs troubles.