Du divan au face à face, la question du cadre
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Du divan au face à face, la question du cadre

Quelqu’un vient chez un analyste demander une psychanalyse. Si ce dernier n’y voit rien à redire, il n’y a rien à en dire. Un contrat est conclu à leurs risques et périls entre les deux désormais partenaires, excluant tout tiers, y compris payant.

Quelqu’un peut arriver aussi chez l’analyste pour une plainte ancienne, tout aussi multiforme que stéréotypée, objet déjà d’une succession de tentatives thérapeutiques aussi variées que vaines. C’est alors qu’une simple écoute, analytique cette fois, tout aussi nouvelle que totalement inattendue opérera un bouleversement tel que ce quelqu’un ne sera plus jamais le même qu’avant ce moment, qu’il prenne alors la fuite ou qu’il vienne continuer ce travail. Pour la première fois, quelque chose en lui désormais soupçonne, entrevoit derrière des pensées, des affects, des larmes jusqu’alors jamais advenus, une autre histoire, une autre représentation de lui-même, un autre type de causalités que celles qui constituaient jusqu’alors l’évidence même.

Troisième cas de figure, le plus fréquent : quelqu’un vient chez le “psy” parce qu’il souffre psychiquement et que tout naturellement c’est à ce dernier qu’il s’adresse. Il se trouve que celui-ci est psychanalyste et que, le plus souvent, sauf contre indication ou acceptation dans certains cas d’une psychanalyse, ce sera donc une psychothérapie qu’il proposera à son patient, psychanalytique bien entendu, qualificatif consubstantiel à sa qualification. Mais un qualificatif qui ne sera pas nécessairement formulé au patient, pas plus qu’une explicitation introductive solennelle de la règle fondamentale. Ce qui apparaîtra en revanche déjà spécifique à la dimension analytique -même si, bien entendu, nombre de non-analystes opèrent de même-sera la régularité dans la durée et la fréquence des séances et des modalités de paiement.

A l’intérieur d’un tel cadre, pourront ainsi se déployer toutes les modalités de fonctionnement mental, y compris et bien souvent les moins apparemment analysables -récit narratif sans failles, pensée concrète, système de causalités autojustificatif, surdité à toute interrogation personnelle. Problématiques qui le confronteront nécessairement à tous les ingrédients composant l’abord psychothérapique non analytique, quelles qu’en soient les théories et les techniques : séduction, argumentation plus ou moins logique ou rationalisante, dédramatisation, déculpabilisation, écoute bienveillante ou coparticipation plus ou moins mésurée ou intense, confrontation, manipulation et aussi… interprétation, toutes interventions visant essentiellement le moi, indépendemment du déploiement ou de l’utilisation implicites d’un transfert de dégré ou de qualité variables.

La différence -qui me paraît essentielle- au sein de telles situations entre non analystes et analystes semble bien être la capacité de ces derniers à saisir les véritables ressorts de ces divers types d’intervention et l’opportunité ou non de les utiliser, sur un mode plus ou moins discret ou appuyé, et sans demeurer prisonnier de la théorisation -plus ou moins idéologique- qui sous-tend chacune des autres méthodes. N’est-ce pas finalement ce que pratiquent depuis de nombreuses années les psychanalystes psychosomaticiens dans la visée qui est la leur d’en affiner l’opportunité et l’impact dans une lecture authentiquement métapsychologique ? Une façon peut-être aussi d’accorder ses lettres de noblesse à une pratique en fait pour le moins assez éloignée du travail psychanalytique proprement dit. Compromis plus ou moins tacite ou affirmé pour légitimer psychanalytiquement des pratiques pour le moins assez éloignées de la cure type, s’inscrivant dans l’ambivalence ou le malaise qu’elles seraient susceptibles de susciter chez le thérapeute par rapport à son identité. Ambivalence et malaise qui pourraient expliquer un certain silence, un certain évitement de la part des institutions et des lieux de publications psychanalytiques devant l’abord en face à face alors que celui-ci -au-delà des psychoses et des psychosomatoses- est depuis longtemps devenu une part de plus en plus importante de leur pratique.

Ce n’est donc que depuis quelques années qu’un tel mode prend progressivement, du moins en France, la place qu’il mérite, imposée tant par la clinique que par le contexte culturel et social actuel. Il n’en pose pas moins le problème essentiel de la dilution, de l’affadissement de la psychanalyse dans un cadre et une pratique risquant de lui faire perdre l’essentiel de son tranchant et de sa spécificité.

Le problème est réel et ne peut être abordé ici. Il se trouve néanmoins que, grâce notamment aux travaux de Bion et de Winnicott et l’articulation nouvelle qu’elle a permise entre l’environnement premier et le fonctionnement psychique, entre le cadre et la dialectique transféro-contre-transférentielle, une perspective et un travail authentiquement psychanalytiques peuvent et doivent désormais être envisagés pour une part grandissante de nombre de tableaux psychopathologiques auxquels un analytse est aujourd’hui confronté comme la diversité des sites qui les accueillent et dont le face à face s’est imposé comme le plus fréquemment adopté. D’autant que l’expérience n’avait jamais cessé de démontrer l’inadéquation de la cure de divan pour un certain nombre de cas qui apparemment en relevaient et en revanche la possibilité d’un travail psychanalytique, efficace et suffisant, en face à face. Si l’absence du regard de l’autre est souvent un facteur important pour le déploiement du processus, il peut aussi parfois constituer un obstacle. De toute façon, que le dispositif l’exclue ou le maintienne, l’essentiel apparaît bien ailleurs, transcendant l’alternative couché/assis, dans la manière, psychanalytique ou non, dont le thérapeute accueille et utilise le matériel du patient quel que soit le cadre choisi. Mieux : le cadre lui-même peut devenir le lieu même du processus et rendre ainsi psychanalytiques nombre de procédés jusqu’alors considérés comme purement psychothérapiques. La pratique psychanalytique voit ainsi peu à peu ses modèles se modifier de telle sorte que, comme le souligne Widlöcher, “l’accent est beaucoup moins mis sur les modèles explicatifs et les modèles de contrôle au profit des modèle de transformation”, où “le couple analytique” peut être considéré “comme une forme assymétrique d’intersubjectivité spécifique en prise avec l’intrasubjectivité du patient et de l’analyste” (Bernard Brusset).
De sorte qu’aujourd’hui -et c’est la quatrième cas de figure de la rencontre en face à facele psychanalytique qui la caractérise passe par la fonction simultanément encadrante et analysante du contre-transfert à partir duquel, au sein de la dimension ludique de l’échange, se révèle progressivement au patient un nouveau regard sur soi et autrui, un autre mode de liens entre les pensées et ce qui y fait obstacle etc., soit la découverte progressive par le sujet du travail psychanalytique et de son utilisation et qui fait de ce face à face une autre manière de faire de la psychanalyse (voire une psychanalyse), avec les techniques et les modes d’intervention qui lui sont propres.

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Psychanalyse et psychothérapie