Entre psychanalyse et psychothérapie psychanalytique : une tension dynamique
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Entre psychanalyse et psychothérapie psychanalytique : une tension dynamique

Dans Idées directrices pour une psychanalyse contemporaine, A. Green (2002) avertit avec force : “On ne voit plus très bien comment (la théorie psychanalytique) qui se désintéresse à ce point de l’environnement pour y faire prévaloir des idées issues du seul cadre analytique, peut mériter de l’intérêt dans le patrimoine des connaissances actuelles. Une psychanalyse qui dissocie à ce point ce dont elle est témoin dans le monde et ce qu’elle est amenée à connaître à l’intérieur du cadre analytique devient littéralement schizophrénique”. A. Green semble dire que la psychanalyse n’est pas renfermée sur elle-même et doit évoluer avec le monde actuel sous peine de devenir obsolète mais, j’ajouterais, sans pour autant y perdre son âme. En fait, la psychanalyse ne s’est jamais sclérosée : Freud en premier a bouleversé sa théorie (introduction de la seconde topique par Freud), elle s’est adaptée à l’environnement de son exercice (cf. la psychanalyse sans divan en institution), aux incidences sur la théorie des changements sociaux en perpétuelle évolution (pensons à Deuil et mélancolie de Freud écrit lors de la 1ère guerre mondiale ou encore aux apports de Bion avec les théories sur les groupes après la 2ème guerre mondiale), en introduisant des modifications techniques ou des adaptations du cadre (psychanalyse de groupe, de couple, psychodrame) ou encore aux modifications du cadre avec certaines pathologies (états limites, patients psychosomatiques …) sans oublier les développements en psychanalyse des enfants pour ne pas en citer plus. Tous les changements et évolutions, qui ont parfois mené à des remises en question déchirantes des théories et des pratiques, ont suscité des résistances chez certains analystes craignant une dilution de “l’or pur” de la psychanalyse. En serait-il de même actuellement dans le débat (schizophrénique ?) entre psychanalyse et psychothérapie psychanalytique.

Il existe des interactions dialectiques à la fois complexes et intimes entre psychanalyse et psychothérapie psychanalytique. La psychanalyse sert clairement de référentiel pour les psychothérapies psychodynamiques. En effet, la psychothérapie psychanalytique ne peut être évoquée hors du contexte de la psychanalyse puisqu’elle se réfère à la fois à sa théorie à travers la métapsychologie freudienne et à sa technique à travers des notions de neutralité, d’interprétation, de travail sur le transfert et le contre-transfert et à son cadre. A notre connaissance, Freud n’a d’ailleurs jamais opposé psychanalyse et psychothérapie (psychanalytique). “On ne peut échapper sous peine de sclérose ou de dilution à une tension dialectique entre un modèle vers lequel on doit tendre et les nécessaires adaptations de ce modèle à la clinique individuelle. Sans la référence au modèle psychanalytique, la démarche thérapeutique risque de s’abâtardir ou de perdre sa spécificité ; sans les adaptations de ce modèle, la pratique se fige ne serait-ce que parce qu’elle n’est possible que dans un certain cadre qui suppose des conditions préalables et ne peut concerner qu’une minorité de personnalités qui présentent un certain type de fonctionnement mental” (Jeammet, 1998). Vue sous cet angle, la psychothérapie analytique est une technique dérivée de la psychanalyse et en lien étroit avec cette dernière. Il existe une proximité de fait marquée par des ressemblances mais également par des différences. Ces dernières se situent surtout, nous semble-t-il, au niveau des buts et des moyens mis en œuvre pour les atteindre. Certains auteurs, par contre, différencient le champ de la psychothérapie psychanalytique non par son contenu mais par la formation de celui qui la pratique. Ne seraient psychanalytiques que les psychothérapies effectuées par des psychanalystes et non celles effectuées par des psychothérapeutes qui ne sont pas membres de sociétés de psychanalyse.

A l’heure actuelle, “la psychanalyse est la théorie la plus complète et la plus avancée qui tente de rendre compte de l’intégralité du fonctionnement psychique normal et pathologique, qui ouvre sur une méthode d’observation et sur une clinique générale de la souffrance psychique et des pratiques de soins à y apporter” (Roussillon, 1998). Cet auteur souligne que la psychothérapie est psychanalytique à condition de s’appuyer sur le corpus théorique psychanalytique. Les pathologies que nous rencontrons actuellement dans nos consultations, sont surtout des pathologies de l’agir, du narcissisme, du désespoir, des difficultés de symbolisation et des somatisations. Ces patients ont de grandes difficultés à être seuls, tout manque devient insupportable et doit être comblé immédiatement. Les angoisses profondes, les sentiments de rage, de désespoir et de terreur caractérisent bien souvent ces patients dont la psyché est construite sur le clivage et est constituée d’éléments non symbolisés, bien plus que basée sur le refoulement et la remémoration. Le travail analytique dans ce type de situation est donc très spécifique et la question se pose de savoir si le modèle classique de formation analytique est celui qui y prépare le mieux le clinicien ? La relation thérapeutique du fait que le patient ressent l’analyste trop proche ou trop loin a souvent un effet traumatique pour le patient. Dans ces conditions, le travail thérapeutique souvent centré autour du travail du cadre commencera à raison d’une ou de deux séances par semaine en face à face pour que, à partir, du perceptif advienne progressivement de la pensée. La sollicitation contretransférentielle est alors intense et, bien plus que dans une cure type, l’analyste sera amené à être plus actif, parfois hors de sa neutralité bienveillante. Les psychothérapeutes psychanalytiques souvent plus à l’aise dans l’interaction avec le patient, ne seraient-ils pas alors mieux formés pour faire face à ces patients, du moins dans un premier temps, avant d’entreprendre une cure psychanalytique type (Sandell et all. 2000) ? Et Roussillon de proposer pour ce travail “sous le regard de l’autre” une formation spécifique pour les psychanalystes.

Depuis ses origines, la psychanalyse n’a jamais cessé de s’interroger sur sa propre pratique, sur ses dispositifs. Elle possède ainsi les instruments pour analyser les incidences des différents dispositifs de soins sur les processus en cours. Il reste à prouver que les élaborations déduites de la pratique de la cure type puissent être transposées telle quelles sur la pratique psychothérapeutique. Y a-t-il un processus psychothérapeutique différent du processus psychanalytique ? Quelles sont les incidences du dispositif lors d’un travail psychothérapeutique fait à basse fréquence, comparé à un travail à haute fréquence ? Actuellement, de plus en plus de patients partagent leur vie professionnelle entre différents pays, voire continents de sorte que le dispositif thérapeutique qui leur est proposé ne peut être qu’un dispositif discontinu. Et pourtant, en règle générale, un processus thérapeutique a bien lieu ! (Giovannetti 2005). On est loin alors des buts analytiques initiaux de Freud “que le Moi advienne où était le Ça” ou “de rendre conscient l’inconscient”. Mais, les patients aux malaises existentiels souvent indéfinis et indéfinissables nous demandent une aide plus concrète, plus ancrée dans la réalité avant qu’ils ne puissent éventuellement envisager une cure de parole plus traditionnelle.

Pour Freud il n’y a pas d’opposition entre psychanalyse et psychothérapie mais il y a plutôt une adaptation de la technique aux pathologies spécifiques des personnes qui consultent. Et de fait, la psychothérapie psychanalytique s’est développée en prenant appui sur la psychanalyse mais aussi en développant des aspects techniques différents, et peut-être même, processuels différents, pour s’adapter aux pathologies rencontrées. La démarche psychothérapeutique ne se fait alors pas par défaut en référence à la cure type mais par rapport à des indications précises et aussi par rapports à des buts plus précis.
L’analyse doit se faire interroger par ces questions, y apporter des réponses et certainement en retour être elle-même influencée et transformée par ces réponses.

Bibliographie

Cahn R. (2002) : La fin du divan ? Paris, O. Jacob.

Giovannetti M (2005) : De l’hospitalité dans la clinique psychanalytique aujourd’hui, Revue Belge de Psychanalyse, Liège, Société Belge de Psychanalyse.

Green A. (2002) : Idées directrices pour une psychanalyse contemporaine. Paris, PUF.

Jeammet P. (1998) : Le perçu, l’agi et la représentation dans le processus psychanalytique. Débats de la psychanalyse : Psychothérapies psychanalytiques. Revue Française de Psychanalyse. Paris, P.U.F., 29-48.

Roussillon R. (1998) : Quelques remarques épistémologiques à propos du travail psychanalytique en face à face. Débats de la psychanalyse : Psychothérapies psychanalytiques. Revue Française de Psychanalyse. Paris, P.U.F., 67-76.

Sandell & all. (2000) : Varieties of long-term outcome among patients in psychoanalysis and long term psychotherapy : a review of findings in the Stockholm outcome psychoanalysis and psychotherapy project (STOPP). Int. J. Psychoanalysis, vol. 81.

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