Entre la destructivité entropique de l’asile et l’excitation idéalisante de l’antipsychiatrie
Dossier

Entre la destructivité entropique de l’asile et l’excitation idéalisante de l’antipsychiatrie

Accueillir ensemble un bébé ou un adolescent et ses parents pour traiter favorablement la psychopathologie qui les a touchés nécessite non seulement des compétences personnelle, éventuellement issues d’une longue formation, mais également une appartenance à au moins un groupe dans lequel les énigmes et les apories qui ne manquent jamais de survenir seront travaillées par ce collectif, afin de tenter de les résoudre suffisamment.

Mon hypothèse est que ce ou ces groupes d’appartenance constituent « juste ce qui suffit d’institution », entre la destructivité de l’entropie asilaire et l’excitation idéalisante de l’antipsychiatrie. Mais à la condition que la qualité de ces groupes de travail facilite la circulation de paroles et de pensées authentiques. Nous pouvons alors survivre à l’accueil de la réalité de la destructivité, en nous nourrissant d’une excitation qui, quand elle n’est pas trop pathologique, peut favoriser la convivialité et la co-pensée.

Un peu d’histoire

L’asile, sorti d’une utopie philanthropique pensée par Pinel et mis en musique par Esquirol à partir de 1838, s’est rapidement révélé un endroit infernal1, gagné par les dérives totalisantes et les horreurs concentrationnaires : bref, un temple de la destructivité entropique. En quelques années, ces espaces dédiés aux déploiements du traitement moral sont devenus des lieux vidés de leur humanité, propices à toutes les perversions inhérentes aux systèmes impliqués dans des relations de dépendances asymétriques que Foucault, en son temps, dénoncera mieux que personne, notamment les prisons et les asiles.

L’antipsychiatrie, plus d’un siècle après la création des asiles, s’est construite sur un sophisme certes plaisant pour l’esprit, mais ravageur dans les pratiques concrètes : si donc l’asile ne peut devenir qu’un lieu de destructivité entropique, alors il suffit de le supprimer pour que ses effets disparaissent, et le tour est joué. Dont acte. Nous avons alors assisté à l’excitation idéalisante contagieuse de nombreux acteurs, conquis par cette question complexe ravalée au rang d’une équation à une seule inconnue, embarqués dans une aventure militante visant à généraliser la solution promue par Basaglia, en Italie, comme la seule possible : une suppression pure et simple des asiles. Tosquelles aimait à rappeler que les suites de la loi Basaglia (ou loi 180) en Italie avaient été beaucoup plus triviales que les espoirs qu’elle avait fait naître : développement des cliniques psychiatriques privées disposant de pratiques d’internements peu reluisantes, et, plus inattendu, apparition dans les catalogues de vente par correspondance d’un nouvel article prometteur, la camisole de force, accessible à toutes les bourses et livrée à domicile, permettant d’enfermer son fou à la maison. En fait, la politique antipsychiatrique de Basaglia s’était avérée intéressante dans les régions italiennes où un travail psychiatrique préalable avait permis d’anticiper la suppression des asiles, par la mise en place d’alternatives cohérentes à l’hospitalisation, tandis que dans les autres régions impréparées, la loi 180 avait abouti aux conséquences raillées par Tosquelles sans autre forme de procès.

Comment ne pas reconnaître, dans ces deux formes extrêmes de politiques de santé, les mêmes excès d’une idéologie simplificatrice sur un sujet aussi complexe que celui de la folie ? Je plie les malades à mon fantasme de les rassembler en un lieu de traitement moral qui leur apportera la guérison ; et/ou je les plie à mon fantasme de supprimer le lieu, cause de leur aliénation, et de les laisser faire leur expérience délirante primaire en toute liberté. Dans le premier cas, le fantasme permet d’échapper à la nécessité de prendre en compte la destructivité contenue en chacun de nous sous des formes diverses, et de l’en protéger ; dans le second, il permet de cultiver l’idée que la folie peut aider le sujet à trouver sa voie, à la condition de ne pas l’aliéner dans les circuits institutionnels étatiques. Dans le premier, l’aliénation sociale n’est pas prise en compte, dans le second, l’aliénation psychopathologique ne l’est pas davantage. Pinel pensait protéger les malades mentaux en les isolant du monde pour mieux leur appliquer le traitement moral, oubliant que ledit monde contenait une partie des ressorts de leur exclusion, et qu’à ne pas les prendre en compte, ils fourbissaient les armes de la destructivité, l’asile concentrant les mécanismes de leurs souffrances psychiques aliénantes. Et quand bien même les eût-il pris en considération, sa conceptualisation de la relation intersubjective, pétrie d’humanisme postencyclopédique, n’aurait pas suffi à se résoudre grâce au seul traitement moral. Nous savons depuis Melanie Klein que l’idéalisation ne règne et ne fanfaronne qu’au prix d’un clivage coûteux en énergie, et antinomique à l’assomption du principe de réalité.

Il aura fallu attendre le début du xxe siècle pour que Freud, dans sa découverte de la psychanalyse, invente le concept de transfert pour faire progresser de façon majeure la compréhension de la relation thérapeutique. De plus, on oublie souvent que sans Pussin, Pinel n’aurait sans doute pas pu mettre en place de façon institutionnelle son traitement moral dans les hôpitaux où ils ont travaillé ensemble. Nous avons donc Pinel et Pussin qui inventent la forme première de la psychothérapie, le traitement moral, délivré dans des conditions asilaires et sans la référence freudienne au concept de transfert – et pour cause, puisque la psychanalyse naîtra un siècle plus tard. On comprend mieux que cette tentative, pour intéressante qu’elle ait pu être, n’ait pas pris dans l’histoire la place qu’elle aurait pu occuper.

Mais si Freud a mis en évidence la relation de transfert qui surdétermine toute entreprise thérapeutique entre un psychanalyste et un patient, ses élèves et lui (Freud lui-même est resté jusqu’au bout ambivalent sur cette question du transfert dans la psychose) ont sans doute un peu rapidement pensé que la plupart des pathologies mentales étaient éligibles à ses indications. Or, si la névrose s’est montrée particulièrement sensible à la cure-type, d’autres pathologies telles que la psychose, la psychopathie ou les perversions, ne s’y sont pas prêtées de la même façon. Beaucoup de ces cas pathologiques ont passé quelquefois des années sur des divans, parfois prestigieux, sans que le moindre changement en profondeur se produise.

Quant à l’antipsychiatrie, l’ouvrage de Jacques Hochmann2 le montre parfaitement, elle a vécu ce que durent les roses, le temps d’une floraison, et sa récupération cynique par les technocrates en montre de façon caricaturale toute l’ambiguïté. Penser que les maladies mentales sont une construction sociétale, et laisser les patients dérouler leur trajectoire vitale, ou plus poétiquement, leur voyage à travers la folie, sans aides spécifiques, relève soit d’un idéalisme naïf mais glaçant soit d’un abandon coupable et, sans nul doute, sadique en diable. Pour les patients présentant une pathologie mentale avérée, hors névrose occidentale poids moyen, il y avait donc lieu de définir une troisième voie, à mi-chemin entre ces deux extrêmes, capable de prendre en compte les différents facteurs de l’équation psychopathologique.

Une révolution psychiatrique majeure

Cette troisième voie3 est une vraie révolution culturelle de la psychiatrie : il s’agissait, pendant une période particulièrement délicate, la Seconde Guerre mondiale, de refonder radicalement la psychiatrie française en train de vivre le dernier acte de sa tragédie asilaire annoncée, avec, entre autres infamies, les 45 000 malades mentaux internés4 morts de faim. Dans une région pauvre et désertée – la « Lozère, pays de misère », comme le dit un dicton régional –, Paul Balvet, médecin directeur de l’hôpital psychiatrique de Saint-Alban en partance pour Lyon, accueille François Tosquelles, en janvier 1940. Ce psychiatre catalan, responsable du service de psychiatrie des armées républicaines espagnoles, condamné à mort par Franco, réfugié depuis dix mois en France dans le camp de Septfonds, est né en 1912. Bachelier à 15 ans, il fait ses études de médecine à Barcelone et à Reus. Déjà grand lecteur de Freud, dont les écrits sont traduits aussitôt en espagnol, il entreprend une psychanalyse en 1933, à Barcelone, avec Sándor Eminder, psychanalyste formé par Ferenczi, qui fuit le début des persécutions nazies. Il est également très engagé dans les mouvements politiques fédéralo-marxistes, et participe à de nombreuses actions émancipatrices auprès des ouvriers et paysans, dans le cadre de l’Université populaire. Il devient psychiatre à l’Instituto Pere Mata à Reus, avant de rejoindre l’armée républicaine espagnole dans sa lutte pour la démocratie dès le putsch de Franco. Il est donc psychiatre et se forme au métier de psychanalyste lorsque la guerre civile le cueille pour le jeter dans les combats fratricides, jusqu’à la victoire du dictateur. Lorsqu’il arrive à Saint-Alban, il possède déjà une solide culture psychiatrique, dispensée en partie par son maître Mira y Lopez, professeur de psychiatrie à Reus, mais également une pratique ancienne des groupes et des institutions, par exemple, sous la forme de groupes de type Balint avec les pédiatres de l’hôpital de Reus. Sa praxis marche déjà sur deux jambes, se plaira-t-il à dire plus tard, une jambe psychanalytique et une jambe politique. Son expérience psychanalytique lui permettra de développer un approfondissement des notions de transfert multiréférentiel en corrélation avec celle de constellation transférentielle, condition institutionnelle de possibilité de prise en compte des phénomènes transférentiels complexes. En effet, les transferts des personnes psychotiques sont « dissociés », comme le proposera Oury5 en appui sur les travaux de Bleuler6, et les soignants, réceptacles de ces transferts dissociés, sont invités à se regrouper en « constellations transférentielles » pour y partager leurs vécus contre-transférentiels, travaillant ainsi la contenance de base du patient dissocié. Ces concepts indispensables pour ceux qui veulent prendre en charge les personnes psychotiques en appui sur la psychanalyse, et traiter l’aliénation psychopathologique aussi bien que l’aliénation sociale, nous viennent pour partie de cette expérience fondatrice de la psychothérapie institutionnelle. Mais encore faut-il accepter de sortir de son cabinet de psychanalyste pour approcher l’aliénation spécifique de la psychose et réfléchir à sa dimension d’aliénation sociale. La référence de Tosquelles7 à Hermann Simon8, psychiatre à Gutersloh, est fondamentale : pour soigner les malades hospitalisés, il faut d’abord soigner l’hôpital. L’arrivée à Saint-Alban de Lucien Bonnafé, en 1942, en tant que médecin directeur va permettre à Tosquelles de disposer d’un puissant allié pour continuer d’y mener ses expériences institutionnelles, et élargir le seul champ hospitalier pour en arriver à « investir » le secteur géodémographique, dont sont originaires les patients hospitalisés. C’est dans cette perspective que je présente souvent l’invention de la psychothérapie institutionnelle comme structuralement liée à celle de la psychiatrie de secteur, dispositif organisationnel qui permet de dresser la carte des espaces et des ressources disponibles, la psychothérapie institutionnelle étant la méthode de navigation dans ces contrées souvent étrangement inquiétantes. Tosquelles et Bonnafé vont ensemble, et avec une grande partie du personnel soignant, transformer de fond en comble l’exercice de la psychiatrie de leur hôpital. Ils inventeront des « institutions » permettant de traiter les malades mentaux dans des conditions plus humaines que partout ailleurs : un club thérapeutique donnera des responsabilités aux malades pour qu’ils participent à l’organisation de leur vie quotidienne ; des réunions soignants-soignés seront mises en place afin de faciliter les activités du club thérapeutique ; des sorties seront organisées pour que certains patients puissent participer aux travaux des champs ; un journal accessible aux malades leur permettra d’exprimer leurs expériences et leurs desiderata ; la reconstruction de certains pavillons redonnera un peu d’humanité à ces lieux asilaires souvent sordides ; enfin, une formation des soignants sera instaurée pour les transformer en véritables auxiliaires des rares psychiatres en exercice. À l’issue de la guerre, on ne déplorera aucun patient mort de faim à l’hôpital de Saint-Alban. Quant à ceux qui ont bénéficié des activités à l’extérieur, l’amélioration notable de leur santé psychique en a étonné plus d’un. Des espoirs suscités par cette expérience, et celles de quelques autres psychiatres (Daumezon9 notamment), va découler l’organisation par Henri Ey10 des journées du Livre blanc de la psychiatrie, qui permettront de fonder cette nouvelle psychiatrie à base d’humanité retrouvée. Toutefois, elle ne verra officiellement le jour que par deux circulaires décisives, d’abord en mars 1960, puis en mars 1972, et sera enfin légalisée en juillet 1985. Le soin psychiatrique n’est plus centré sur l’hôpital, qui a montré ce qu’il réservait comme potentialités destructrices aux patients en temps de guerre ou de pénurie. Il est centré sur le patient lui-même qu’il accueille là où émerge sa souffrance psychique. Comme il n’est pas possible, ni même souhaitable d’aller chez le patient, sauf dans quelques cas particuliers – ce que permettront les fameuses visites à domicile –, ce sont les cmp qui deviendront les pivots de l’intervention psychiatrique : le patient peut venir rencontrer le psychiatre et son équipe et en fonction du diagnostic, des soins lui seront proposés de la façon la plus adaptée possible à ses conditions de vie. Bien sûr, dans certains cas, l’hospitalisation s’avère nécessaire, mais sont en priorité recherchées les solutions permettant de ne pas y avoir recours. La psychiatrie de secteur était née, avec sa palette de possibilités thérapeutiques et mêmes préventives.

Ce ne sont plus des murs qui accueillent les patients, mais des soignants. La relation humaine est au centre du dispositif ; quels que soient les symptômes, l’équipe de secteur trouvera une solution adaptée à l’état de santé du malade, et ce suivi durera tout le temps nécessaire. D’ailleurs, la continuité des soins est la traduction en langage administratif de la prise en compte du concept de transfert. Lorsque vous avez besoin d’être soigné parce que vous êtes atteint d’une maladie psychiatrique chronique, l’équipe de secteur est votre référence thérapeutique, et elle vous accompagne, selon Jean Ayme11, comme si vous évoluiez sur une bande de Möbius, passant d’une face à l’autre sans discontinuité : vous pouvez compter sur votre équipe de secteur quel que soit votre état pathologique, vous pouvez être suivi en extrahospitalier et/ou en hospitalisation par la même équipe sans que la relation transférentielle soit mise en péril, ces deux espaces auparavant disjoints sont désormais en continuité l’un de l’autre. Mais bien sûr une équipe entière, c’est beaucoup trop ! Alors nous avons une proposition à vous faire : ce sera votre constellation transférentielle qui vous accueillera et vous suivra tout le temps qu’il faudra.

– Cher bébé, ta maman est très déprimée, nous vous accompagnerons le temps nécessaire en ambulatoire, à domicile et, si besoin, tu viendras avec elle dans l’unité mère-bébé du service et nous soutiendrons ton papa. Ta constellation comprendra un psychiatre, un psychologue, une psychomotricienne et une puéricultrice. Vous pourrez tous les trois compter sur eux pour assurer votre suivi durant le temps qu’il faudra.

– Cher adolescent complètement éclaté à donf, tu as fait l’expérience d’une addiction progressive qui masquait un processus dissociatif, jusqu’à ce qu’il te tombe dessus à un moment fécond qui s’est traduit par une bouffée délirante aiguë. Tes parents étaient atterrés et nous avons décidé avec eux de t’hospitaliser pendant quelque temps. Mais tu sais, tu vas avoir besoin de soins pendant un long moment. Oui, oui, même si tu reprends le lycée partiellement ! Ah, tu voudrais que ce soit le psychiatre qui t’a soigné en hospitalisation qui te suive, et aussi l’infirmière avec laquelle tu avais un bon contact pendant tes accès d’angoisse ? No problemo !

– Mais, attendez, vous n’allez tout de même pas me coller tout le temps ou me fliquer ?

– Non, non ! Juste ce qui suffit ! (Chaigneau). Vous avez remarqué que, dans certains cas, vous avez besoin d’être pris en charge sur nos épaules psychiques de façon importante, parce que votre état psychopathologique est très grave et que vous ne pouvez plus tenir suffisamment compte du principe de réalité ; dans ces moments-là, nous assurons la fonction phorique maximale ; et puis à d’autres moments, vous n’avez presque plus besoin de nous, vous êtes quasiment autonome sur le plan psychique et là, nous prenons le large pour ne pas vous intruser, voire vous persécuter.

– Ah bon ! Alors dans ces conditions, faut voir !

C’est cela qui est remarquable avec cette forme de psychiatrie : elle assure une fonction psychothérapique à géométrie variable, entre la veille et le portage intégral, et nous disposons des outils pour réaliser cette adaptation à votre problématique particulière, et vous fabriquer un costume sur mesure. Non pas d’outils techniques seulement, encore que cela soit bien agréable pour vous et pour nous de travailler dans des lieux dignes de ce nom, mais surtout des psychés humaines, capables de vous accueillir et de vous accompagner à la juste distance, et de mettre en place ce qui correspond à cette suffisamment bonne mesure de vos difficultés, qui, elles, sont tellement subtiles à apprécier, du fait de « la mal-mesure de l’homme12 ». Quand je dis « juste ce qui suffit » d’institutions, je ne fais que paraphraser non seulement Chaigneau13, qui le déclare à propos des institutions, mais aussi Winnicott à propos de la « good enough mother », que Joyce McDougall propose de traduire plutôt par « mère adéquate sans plus », juste ce qui suffit de mère. Eh bien, en matière de fonction phorique institutionnelle, c’est quasiment le même enjeu, juste ce qui suffit d’institution pour porter le patient dans tel état quand, à d’autres moments, il aura besoin de plus d’institutions parce que son état aura empiré, ou de moins d’institutions quand son état se sera amélioré. Mais ce qui est particulier dans ce dispositif, c’est que quand il est fonctionnel, le patient participe à sa construction, à son entretien, à sa régulation, et à son action. Il ne s’agit en aucun cas de porter un patient qui abdiquerait toute participation personnelle, car son coefficient de portage est un élément de son traitement. La passivation est un des épiphénomènes de la destructivité asilaire, de son entropie. Au contraire, devenir acteur de sa guérison, ou au moins de son traitement, est un héritage évident, à mes yeux, du processus de subjectivation freudien. La psychiatrie transférentielle a cela de particulier qu’elle ne peut se passer de la participation du patient et de son désir, même fortement ambivalent, de sortir de sa maladie. Balint avait déjà écrit des choses importantes sur ce sujet, et notamment à propos des résistances à guérir14, mais dans notre scénario de la psychothérapie institutionnelle, cette dimension est élevée à un niveau supplémentaire puisqu’il s’agit de l’assumer de façon polyphonique. Oury15, dans son séminaire sur le collectif, le décrit en tant que machine abstraite qui élabore la loi du groupe. Il ne s’agit pas de collectivisation du soin, mais bien plutôt de prendre appui sur un collectif pour mieux singulariser les traitements individuels.

Conclusion

Ainsi la psychothérapie institutionnelle, largement répandue aujourd’hui, est-elle une forme de traitement de la psychopathologie, de celle du bébé en interaction avec ses parents jusqu’aux pathologies les plus graves, en passant par les problématiques adolescentes complexes, qui permet de naviguer entre le Charybde de l’entropie asilaire et le Scylla de l’excitation idéalisante. Le fait que la Haute Autorité de santé (has) ait osé la condamner au même titre que la psychanalyse, sans même savoir de quoi elle parlait, indique assez clairement que le chemin à tracer entre l’entropie médicamenteuse et l’idéalisation des rééducations comportementales sera particulièrement redoutable à maintenir ouvert et fécond. Gageons que les messages16 que nous essayons de transmettre aideront les jeunes générations à réussir la consolidation de toutes ces possibilités d’accompagnement des malades psychiques, qui eux, quoi qu’on en dise, ont tellement besoin de nous.

Notes

  1. Un « Éden infernal », selon la belle expression titrant un récent ouvrage de Jacques Ascher (érès, 2017).
  2. J. Hochmann, Les antipsychiatries : une histoire, Paris, Odile Jacob, 2015.
  3. E. Favereau, P. Artières, « Quand le docteur Tosquelles arrive à Saint-Alban », Libération, cinq numéros, 31 juillet 2016 au 3 août 2016.
  4. I. von Bueltzingsloewen, L’hécatombe des fous. La famine dans les hôpitaux psychiatriques français sous l’Occupation, Paris, Aubier, 2007.
  5. J. Oury, Création et schizophrénie, Paris, Gallilée, 1989.
  6. E. Bleuler, Dementia praecox oder Gruppe der Schizophrenien, Leipzig und Wien, 1911.
  7. F. Tosquelles, L’enseignement de la folie, Paris, Dunod, 2014.
  8. H. Simon, Une thérapeutique plus active à l’hôpital psychiatrique, Berlin, De Gruyte, 1929, trad. inédite, hôpital de Saint-Alban.
  9. G. Daumezon, L. Bonnafé, « L’internement, conduite primitive de la société face à la maladie mentale, recherche d’une attitude plus évoluée », Documents de l’information psychiatrique, vol. 1, 108 pages, Paris, Desclée de Brower, 1946.
  10. Entretien personnel avec Henri Ey, Paris, bibliothèque de Sainte-Anne, 4 octobre 1977.
  11. J. Ayme, Chroniques de la psychiatrie publique, Toulouse, érès, 1995.
  12. S. Jay Gould, La mal-mesure de l’homme, Paris, Odile Jacob, 1997.
  13. H. Chaigneau, « Juste ce qui suffit », L’information psychiatrique, n° 3, 1983, p. 437-446.
  14. M. Balint, Le médecin, son malade et la maladie, trad. fr. J.-P. Valabrega, Paris, Puf, 1960.
  15. J. Oury, Le collectif, Séminaire Sainte Anne 1984-1985, Paris, éd. du Scarabée, 1987.
  16. P. Delion, P. Coupechoux, Mon combat pour une psychiatrie humaine, Paris, Albin Michel, 2016.
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