Introduction
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Introduction

L’autisme infantile précoce demeure, encore aujourd’hui, une question délicate et qu’il faut aborder avec le plus grand calme et le plus grand sérieux pour ne pas relancer des polémiques passionnelles et stériles comme nous n’en avons, malheureusement, que trop connu par le passé. Par ailleurs, d’un point de vue éthique, il importe de manier avec la plus grande prudence toute nouvelle information scientifique en ce domaine afin de ne pas faire naître d’espoirs trop hâtifs, véritables insultes à l’égard de la souffrance des enfants et de leurs familles et qui, dans ces conditions, ne peuvent qu’accentuer celle-ci encore davantage et ne donner lieu qu’à des déceptions et des rancœurs parfois inconsolables. C’est pourquoi ce dossier nous a paru important, pour tenter de faire le point en toute sérénité d’esprit.

Tout d’abord, il est probable que nous approchons du moment où une nouvelle période en matière d’autisme infantile précoce, va enfin pouvoir s’ouvrir. Avant 1943, date de la publication princeps de L. Kanner, c’est l’ère de la méconnaissance totale. Vient ensuite une deuxième période où chacun pense avoir tout compris, avec les conflits passionnels que l’on sait entre les tenants de l’organogénèse absolue et ceux de la psychogénèse exclusive. Et c’est seulement assez récemment qu’ayant rassemblé un certain nombre de données dans des champs distincts, différents auteurs cherchent alors à les articuler au sein d’un modèle réellement transdisciplinaire (J. Hochmann, S. Lebovici, par exemple).

Nouveaux modèles, nouvelles cliniques

De nouveaux modèles se développent désormais quant aux relations qui existent entre le génôme et l’environnement, nouveaux modèles qu’il va nous falloir approfondir dans le champ de l’autisme. Au congrès mondial de la WAIMH (World Association of Infant Mental Health), à Montréal, en 2000, P. Fonagy a bien montré comment les chercheurs considèrent aujourd’hui que l’environnement peut influencer, non pas le contenu du génôme en tant que tel, mais l’expression de celui-ci. Se développent également à l’heure actuelle une génétique soumise à l’empreinte parentale, une génétique des traits complexes, la prise en compte de gènes homéotiques et de modèles d’interaction épistatique qui débouchent sur une génétique subtile, et non mendélienne mais sans doute extrêmement importante dans le champ de la pathologie mentale. Par ailleurs, et au-delà des classifications internationales (DSM IV et CIM 10) qui ne définissent que des populations fort hétérogènes, la collaboration entre psychopathologues, psychanalystes et neuroscientifiques s’avère promise à un avenir fécond qui permettra notamment de délimiter des sous-groupes de plus en plus homogènes et dont l’étude se montrera alors d’autant plus efficace.

La grille d’émergence de l’autisme proposée par G. Haag et coll. pour le suivi d’enfants traités est un bon exemple de ce type de collaboration fructueuse. Dans cette perspective, on voit bien que les psychanalystes n’ont aucunement à avoir peur des avancées spectaculaires des neurosciences, de la génétique et des sciences cognitives. Ils les attendent même avec impatience afin de les intégrer dans un modèle d’ensemble qui permette de tenir compte conjointement des facteurs endogènes (le tempérament, la constitution, l’équipement neuro-bio-psychologique, soit la part personnelle de chaque individu) et des facteurs exogènes (l’environnement au sens large, c’est-à-dire biologique, relationnel, familial, social et culturel). Facteurs primaires de vulnérabilité et facteurs secondaires de maintien ou de cristallisation des troubles coopèrent ainsi en une dynamique psycho-pathologique polyfactorielle qui ouvre dès lors sur une approche thérapeutique diversifiée.

Lors d’une table ronde en 1998, G. Haag, A. Bullinger et l’un d’entre nous avaient ainsi proposé différents points de convergence entre certaines données psychanalytiques et certains abords cognitifs. Finalement, tout ceci devrait donner lieu à une distinction de plus en plus soigneuse de ce que D. Marcelli appelle une « éthique du sujet » et une « éthique du savoir », distinction fondamentale pour faire valoir les bénéfices de la prévention précoce au détriment des maléfices de la prédiction, ce que l’on ressent tout particulièrement à propos des recherches actuelles sur le dépistage précoce (dans la première année de la vie) des enfants à risque d’évolution autistique.

Différentes équipes collaborent ainsi actuellement à la mise au point d’un équivalent du CHAT (Check-list for Autistic Toddlers) utilisable avant douze mois, et ceci notamment dans le cadre d’un PHRC (Programme Hospitalier de Recherche Clinique) multicentrique coordonné par Cl. Bursztejn à Strasbourg. Toutes mesurent à quel point plus le dépistage est précoce, plus il importe de réfléchir soigneusement à l’éthique du maniement des informations recueillies. En effet, plus les enfants dépistés sont jeunes, plus il ne s’agit que d’enfants vulnérables dont l’avenir ne peut être enfermé dans un devenir trop étroitement étiqueté, sauf à figer les choses et à renforcer de manière iatrogène les risques même que l’on dénonce. Les enfants dépistés sont à l’évidence des enfants dont il faut s’occuper, mais en fonction d’effets de rencontre, par essence imprévisibles, certains d’entre eux deviendront peut-être autistiques, mais d’autres deviendront psychotiques, ou dysharmoniques, ou déficitaires, ou même para-normaux. Autrement dit, ce sont à la fois la prudence et l’ouverture d’esprit qui s’imposent, et c’est ce qui nous a servi de trame pour ce dossier.
Nous avons tenté de passer en revue les principaux axes concernés par les études actuelles en matière d’autisme, en faisant appel à des auteurs reconnus dans le domaine sollicité. Nous souhaitons ainsi que toutes les personnes intéressées par cette question disposent d’un outil leur permettant de trouver, non pas l’ensemble des réponses à chacune de leurs demandes, mais au moins la ou les références dont ils auraient besoin pour les retrouver et les approfondir.

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Autisme : état des lieux et horizons