Il est, parmi toutes, une honte singulière, la honte de l’origine ou des origines, honte de la mère ou des parents. Elle peut nouer l’intime au social, la honte sociale recouvrant l’intime comme chez Annie Ernaux, ou bien la singularité, la bizarrerie du parent étant telle qu’elle ne peut que déborder. Rien ne va alors pouvoir la circonscrire, la socialiser comme dans La promesse de l’aube pour Romain Gary ou dans Kaddish pour Allen Ginsberg. Cette honte, le sujet a beau en établir la phénoménologie précise, tenter de l’isoler donc, la découper en la référant au parent strictement, changer de milieu social, couper même avec ses parents comme le héros de La Tâche de Philip Roth, elle le colle et lui retombera dessus, et portera, tant qu’elle consistera, une ombre sur son propre narcissisme.
Repérant, à travers quelques situations cliniques, l’occurrence de cet affect à l’adolescence, nous nous questionnerons sur les destins que peut lui donner un sujet. C’est là une manière de réponse à Jacques André dans son article « La honte »1, quand il distingue la culpabilité, qui se dit en propre, « je me sens », terreau pour la névrose ou moteur à la réparation, de la honte qui s’écrit à la troisième personne : « on n’est honteux que sous le regard d’un autre », écrit-il. La honte, elle, persécute, et de l’humiliation qu’elle occasionne, Jacques André dit qu’il n’est guère possible de faire quelque chose, si ce n’est éventuellement la transformer en son contraire, le mépris. Réouvrons la question : n’est-il vraiment pas possible de la transformer ? Quel destin, quelle issue possible peut-on envisager pour la honte, en particulier quand elle est honte de la mère, des parents, de l’origine ?