Les TCC proposent aujourd’hui de guérir une phobie en 10 à 15 séances. En prenant au sérieux cette offre thérapeutique et en accordant un crédit aux psychiatres et aux psychologues cliniciens qui ont adoptés ces pratiques, je vais m’intéresser à ce qui dans la clinique et dans la subjectivité d’un sujet phobique peut venir répondre à cette méthode des TCC.
Une question de méthode
Freud1 ne s’est pas opposé à l’insertion possible de la psychanalyse dans la médecine à condition qu’elle y apparaisse comme une spécialité de la médecine. Il craignait néanmoins que la visée thérapeutique de sa méthode ne l’emporte sur la recherche scientifique de la psychanalyse. Cette articulation entre la recherche et la thérapeutique est au cœur de la méthode freudienne : pas l’une sans l’autre. C’est d’ailleurs ce nouage qui permet de distinguer, comme Freud le proposa lui-même, entre la psychanalyse et les psychothérapies2. Freud reconnaît aux psychothérapies la volonté de guérir par l’extérieur, par le soutien externe, ce qui est en souffrance chez le sujet. Il en va autrement de la psychanalyse qui tente de l’attraper par l’intérieur avec l’aide du sujet. La plupart des psychothérapies s’appuient sur la découverte freudienne du transfert, sans forcément le distinguer de la suggestion; ce qui a comme effet de renforcer la croyance dans un Autre supposé savoir. Nos patients viennent avec cette demande d’obtenir une parole de l’Autre supposé savoir mieux qu’eux la vérité de leurs souffrances. Cette définition du transfert qui permet de saisir les effets thérapeutiques de toutes situations de demande de soins adressée à un Autre, médecin, psychothérapeute, etc…., qui pour presque naturelle dans la relation humaine, suppose néanmoins un « savoir y faire avec » de la part de celui qui vient à cette place du sujet-supposé-savoir, ceci pour éviter un simple effet hypnotique passager.
La cure freudienne apporte un savoir nouveau au patient, un savoir qu’il cherche au-delà des limites de sa raison; ne se plaint-il pas souvent pendant la cure de n’avoir encore rien trouver de neuf qui puisse l’éclairer et par conséquent le soulager. Bref, l’inconscient est un savoir, Freud parlait de notre meilleur savoir, celui qui a un effet thérapeutique par sa recherche et sa découverte. Ce que les grecs reconnaissaient de la vérité comme alêthéia.
Pour Dostoïevski, il y avait déjà deux sortes d’hommes, ceux qui sont dans l’action et ceux qui ne peuvent s’empêcher d’être dans la réflexion. Ni l’un, ni l’autre ne se prescrivent, mais le passage est possible. Ce qui a fait dire à Lacan dans Télévision, qu’il faut au sujet avoir « un désir décidé »3 pour engager une cure psychanalytique. En tout cas, Freud insistait sur le fait qu’il ne faut pas céder aux considérations pratiques et politiques de la demande psychothérapique. Ce qui est à méditer aujourd’hui où la demande psychothérapique émerge du politique en jouant du pluralisme des demandes et des réponses à apporter aux patients.
Les TCC proposent la guérison d’un comportement mal conditionné, comme une phobie, sur le modèle de la rééducation de patients cérébraux-lésés. On re-conditionne, on ré-éduque, on re-formate, en passant contrat avec son patient, dans une situation qui se veut « hors-transfert » et qui pourrait être appliquée par n’importe quel thérapeute auprès de n’importe quel sujet. Le contrat prime4. Avec le « contrat » comme engagement thérapeutique, nous pouvons d’emblée reconnaître ce que nous savons bien, à savoir que le « contrat » engage deux instances « moïques » et fait de la conscience le lieu de sa garantie.
Dès les Etudes sur l’hystérie, Freud fait le distinguo entre :
- La thérapie symptomatique ;
- La thérapie causale.
Ceci en attirant notre attention sur le déplacement toujours possible du symptôme dans la thérapie symptomatique. Par contre, la visée de la thérapie causale est non seulement la cause du symptôme, mais également la cause de la névrose. Depuis Aristote, nous savons que c’est le savoir sur la cause qui peut prétendre à la scientificité. Il faut maintenant répondre à la question de ce que c’est qu’un symptôme. Le symptôme n’est pas qu’une formation de l’inconscient, c’est-à-dire un message inconscient qui est à déchiffrer comme un rêve. Il est aussi la production d’une jouissance, ce que la névrose traumatique, la répétition et la réaction thérapeutique négative nous apprennent. Que l’être humain répète le Bien est une chose, mais qu’il puisse aussi répéter le Mal, cela paraît à première vue aberrant. Pourtant l’histoire en a fait la monstration par la barbarie. C’est justement cette compulsion à la répétition du symptôme qui échappe, selon leurs praticiens, aux TCC. Dostoïevski dans Les nuits blanches attribuait déjà à l’homme la préférence d’un grand malheur à un petit bonheur ; comme il se cramponnera 5 avec son « fait-pipi ». En même temps, le sujet ne renonce pas à la castration, c’est-à-dire à vouloir perdre cet objet de jouissance prégénital. Entre ces deux positions, le sujet va se construire une figure imaginaire du père, un Père Idéal pour lui, celui qui fermerait les yeux sur ces désirs infantiles. La lecture du Roi des Aulnes de Goethe nous invite à ce savoir. Nous venons de constater qu’on passe du symptôme à la névrose et de la névrose au transfert comme névrose de transfert. On l’aura saisi, le symptôme est à la névrose ce que la feuille est à l’arbre.
La psychothérapie pratiquée par un psychanalyste se distingue de la cure analytique par une adaptation de la méthode à l’enveloppe subjective du patient à même de supporter une certaine dose de dialectique entre « la feuille » et « l’arbre » de la structure.
La phobie
Il est temps maintenant d’examiner pourquoi la phobie est devenue de façon privilégiée la cible des TCC à un moment de notre histoire où les psychothérapies sont redevenues l’objet de la demande politique et sociale. Dans un excellent article sur la phobie6, C. Melman évoque Legrand du Saulle qui au 19ème siècle avait déjà bien perçu la structure de l’agoraphobie. Il a noté que l’angoisse se déclenchait dans un espace comme un théâtre ou une cathédrale, lorsque le sujet est en rapport direct avec l’abîme. Ce qui peut se produire à l’opéra du haut d’un balcon en regardant la corbeille, lorsque plus rien ne fait obstacle entre le sujet et le trou ou le vide. Il suffirait d’un petit rien architectural pour le rassurer. Plus précisément, nous pouvons constater que l’angoisse se déclenche dans un espace à point de fuite. Ce point phobogène est le point à l’infini d’où le regard peut émerger dans l’espace. Bref, le trou vaut comme regard. Mais que se passe-t-il lors de l’émergence du regard dans l’espace d’un sujet ? M. Safouan, dans un bel article Du regard7 nous permet de saisir de quoi il s’agit. Il donne l’exemple d’une analysante s’est trouvée saisie d’effroi au moment où elle quittait la cabine d’essayage d’un magasin de vêtements, en percevant un regard jeté sur elle. On distingue bien ici la différence entre l’expérience narcissique du miroir où le regard est sollicité par le sujet et le moment où le regard de l’Autre se donne à voir 8. Dans ce cas le regard se réduisait finalement à un éclat de lumière sur un mannequin. Nous saisissons ainsi que hors de son cadre narcissique, le miroir, le regard peut se réduire à un ocelle de papillon où on reconnaît son caractère insaisissable, inconnu, c’est-à-dire hors des coordonnées du narcissisme. C’est là dans cette surprise où le regard de l’Autre se montre que commence la chute du sujet phobique. Quelle chute ? Nous venons de constater avec M. Safouan que le regard est désiré, mais c’est l’effroi quand il se montre. Pour le phobique de l’espace, et du regard, il se produit, ce que C. Melman, décrit bien comme une dissolution du fantasme avec sa conséquence qui est l’évanouissement du sujet. Cette dissolution de l’imaginaire, qui est celle du moi avec ses coordonnées de l’image du corps, provoque la paralysie du sujet. Le sujet en chute libre ne peut que rechercher un semblable pour s’en servir comme d’un « Moi » qui lui permettra de se stabiliser à nouveau dans l’espace et retrouver ainsi le mouvement. Nous repérons là très précisément l’usage orthopédique d’un Moi de secours, qu’on appelle classiquement l’objet contraphobique. Cet usage est une solution structurale temporaire de la phobie. Le thérapeute TCC vient proposer ses bons soins en s’offrant comme Moi orthopédique par contrat avec le moi du sujet phobique. Ce qui nous fait connaître maintenant l’effet produit par ses thérapies et leur ressort. Cet effet orthopédique, comme nous l’avons déjà montré, n’a rien de psychothérapeutique 9.
Notes
- S. Freud, « Postface de 1927 » La question de l’analyse profane, Gallimard, 1985.
- Cf. l’excellent article de Annie Tardits, in Psychologie clinique N° 20, L’Harmattan.
- J. Lacan (1974), Télévision, Autres écrits, Seuil, 2001.
- G. Vila, « Faut-il exposer le petit Hans ? Regard sur les TCC du Trauma et de l’ESPT chez l’enfant », Revue francophone du Stress et du Trauma, N°3, 2006.
- S. Freud, « Analyse d’une phobie chez un petit garçon de 5 ans (Le petit Hans) », Cinq psychanalyses, Puf, 1970
- C. Melman, « Le nouage borroméen dans la phobie », Cliniques Méditerranéennes N° 51/52, Erès.
- M. Safouan, Du regard, Dix conférences, Fayard, 2001.
- Ce que H. Damisch distingue dans le tableau entre le point géométrique du sujet (le point de fuite) et son lieu imaginaire, in L’origine de la perspective, Flammarion, 1987.
- R. Gori, C. Hoffmann, A. Vanier, Les TCC ne sont pas des psychothérapies, Carnet/Psy N° 103, 2005.