Lors du 3ème Congrès Francophone organisé conjointement par la Fédération Européenne de Psychothérapie Psychanalytique (EFPP) et par l’Association de Recherche en Psychiatrie et Psychanalyse de l’enfant (ARPPE), sur le thème, Clinique et théorie – Rupture et continuité qui s’est tenu à la Faculté de Lettres de Metz, le 2 décembre 2005, R. Roussillon, dans son rapport intitulé Pour une clinique de la théorie, que j’ai eu le plaisir de discuter, a bien redit à quel point, selon S. Freud, la ligne de démarcation fondamentale ne passait pas entre psychanalyse et psychothérapie (la psychanalyse était, clairement, pour lui, l’une des différentes formes de psychothérapie), mais passait principalement entre les techniques utilisant la suggestion et celles qui la refusaient. Ceci me semble important à rappeler en introduction de ces quelques lignes.
Par ailleurs, en tant que pédopsychiatre et psychanalyste-psychothérapeute d’enfants (cette auto-désignation ayant déjà, par elle-même, valeur de prise de position), il me semble que le débat ne peut faire abstraction du cadre, et c’est par là que j’entrerai dans la discussion. En effet, le cadre divan-fauteuil n’ayant pas cours en tant que tel avec l’enfant, lorsque qu’on s’est doté d’une véritable formation d’analyste et que l’on reçoit un enfant deux ou trois fois par semaine (voire davantage, ce qui, hélas, est devenu rare dans les institutions !), bien malin serait celui qui pourrait dire à l’avance si l’on va conduire une analyse au sens strict ou une psychothérapie … Souvent, c’est seulement dans l’après-coup que l’on pourra se dire si le travail qui a été mené, l’a été sur un plan authentiquement psychanalytique ou pas. La remarque est d’importance car elle nous invite à exclure toute position idéalisante a priori.
Si l’on retient comme critères susceptibles de définir le champ de l’analyse, non seulement le cadre (dont on voit l’aspect relatif chez l’enfant), mais encore le travail interprétatif sur les contenus et les résistances mené sur le fond de la dynamique transféro-contre-transférentielle, on s’aperçoit, en outre, que les choses sont loin d’être simples chez l’enfant et que deux composantes doivent impérativement être prises en compte : les modalités de fonctionnement psychique des parents d’une part (qui permettent ou ne permettent pas d’envisager et de conduire un travail de nature réellement psychanalytique avec un enfant), l’impact du travail de supervision d’autre part. C’est pourquoi l’action de la Fédération Européenne de Psychothérapie Psychanalytique (en service public) m’apparaît aujourd’hui digne d’intérêt.
Cette Fédération regroupe un certain nombre d’Associations Nationales et, en France, en ce qui concerne la branche “Enfants” de la Fédération (à côté de la branche “Adultes” et de la branche “Groupes et familles”), il existe actuellement trois groupes actifs, l’un à Caen animé par D. Houzel, un autre à Bordeaux animé par C. Geissmann et un autre encore à Paris animé par F. Jardin, A. Aubert et Cl. Athanassiou.
Ces groupes dont l’objectif est d’offrir une formation sérieuse à la “psychothérapie psychanalytique” proposent à des candidats ayant déjà effectué un travail analytique personnel jugé suffisant, un cursus (sur trois ou quatre ans) qui rassemble un certain nombre de composantes existant, individuellement, de manière plus ou moins éparse, ici ou là, mais qui trouvent, ici, dans ce cadre particulier, un contenant institutionnel unificateur, à savoir, une formation à l’observation directe analytique des bébés (selon la méthodologie d’Esther Bick), la participation à des séminaires théorico-cliniques, et la supervision de deux cas de psychothérapie d’enfants, dont l’un, au moins, au rythme de trois séances par semaine.
En dépit des polémiques qui ont pu avoir lieu, en France, autour de cette initiative, cet espace de formation me semble intéressant en ce sens qu’il part d’une constatation réaliste, et qui est la suivante : même si les instituts de formation des analystes en place au sein des Sociétés Psychanalytiques officielles sont en mesure de former des analystes d’enfants aptes à effectuer des psychothérapies d’enfants de qualité (encore faudrait-il, pour cela, que les-dits instituts offrent effectivement une formation théorico-clinique spécifique du champ de l’enfance, et notamment la possibilité d’un contrôle d’analyse d’enfant, ce qui, on le sait, est encore loin d’être le cas !), le nombre d’analystes ainsi formés est indubitablement insuffisant pour répondre à l’ensemble de la demande et des besoins en la matière.
A partir de là, l’espace EFPP pourrait éventuellement être conçu comme une sorte d’espace inter-sociétés d’analyse, qui fournirait aux futurs thérapeutes ainsi qu’aux analystes en formation dans telle ou telle société, la formation qui leur manque en matière d’analyse ou de psychothérapies d’enfants et d’adolescents, voire en matière de thérapies psychanalytiques conjointes parent(s)-bébé. Inutile de dire que nous en sommes encore loin… Mais là n’est pas notre propos dans le cadre de cette réflexion.
Ce qu’il importe de souligner, c’est que cet espace EFPP ne s’obsède pas sur la distinction en fait relativement théorique, chez l’enfant, entre psychanalyse et psychothérapie. L’accent est mis, au contraire, sur la question du travail avec les parents et sur la qualité du travail de supervision qui permettent de définir le niveau du travail possible et du travail effectivement atteint ; la qualité de la supervision permettant en particulier d’étayer convenablement des élèves non analystes au sens d’un cursus analytique complet, dans la conduite de cures de patients s’avérant finalement plus gravement pathologiques que prévu, et s’inscrivant de fait dans un travail analytique véritable.
Une autre manière de réfléchir à cette problématique de la psychanalyse versus la psychothérapie, est de se pencher sur la question du cadre. De même que dans le champ du psychodrame auquel le label “psychanalytique” est aujourd’hui assez couramment reconnu, il existe une triple décondensation, ou triple déploiement, du cadre (parce que tout ne passe pas par le langage, parce que le transfert est diffracté sur plusieurs thérapeutes, et parce que les indications concernent des patients au psychisme moins différencié que les patients névrotiques standard, s’il en est…), de même il existe une décondensation du cadre analogue dans nombre de dispositifs thérapeutiques avec les bébés, les enfants et les adolescents, comme a pu le montrer utilement J.-M. Dupeu.
La distinction entre psychanalyse et psychothérapie ne renvoie donc pas du tout, ici, à une distinction structurale du type névroses, psychoses ou états-limites. A cadre décondensé comparable, la distinction renvoie plutôt à la profondeur du travail atteint et au remaniement structural qui en découle, ce qui, encore, une fois, ne pourra souvent être précisé qu’après-coup, l’important étant, dans tous les cas, de mettre en œuvre les conditions potentielles d’un authentique travail psychanalytique.
Dans le cadre de ces quelques lignes, il est difficile d’aller beaucoup plus loin. J’aimerais seulement faire quelques remarques ponctuelles, en guise de conclusion. La place de la sexualité infantile se trouve, bien évidemment, au cœur du modèle de la cure psychanalytique, mais aussi au cœur de celui des psychothérapies dites psychanalytiques. Ce n’est donc pas là, le véritable point de divergence ou de démarcation. Il me semble, en revanche, que c’est la place faite au travail interprétatif (non seulement des contenus, mais aussi des résistances et du transfert) qui peut nous fournir la pierre angulaire de la réflexion. En sachant toutefois, que l’analyse des structures dites archaïques (de type autistique notamment) nous invite à approfondir soigneusement les champs respectifs du travail de verbalisation et du travail d’interprétation proprement dit (A. Alvarez). Nous avons encore beaucoup à apprendre et à comprendre ici, ne serait-ce que parce qu’un simple travail de verbalisation peut aussi revêtir une fonction d’interprétation contenante, et parce que, d’autre part, notre théorie de l’interprétation est encore loin d’être complète.
Il me semble que le travail avec les bébés et les très jeunes enfants peut déjà, et pourra encore, beaucoup nous apporter dans ce domaine, en mettant la question des émotions, du corps et de la narrativité préverbale au tout premier plan. Interpréter est, en soi, un acte de langage qui modifie le monde représentationnel de l’autre. Mais par où passe l’effet des différents types d’interprétation propres à la pratique analytique, et par où passent les effets des verbalisations plus focalisées de la pratique psychothérapique ?
La discussion demeure encore largement ouverte, et elle me semble aller bien au-delà de la simple question de savoir si la psychothérapie reconnaît ou non des objectifs plus circonscrits et plus définis a priori que la cure analytique stricto sensu. Je parierais volontiers sur le fait que le travail psychothérapeutique et psychanalytique avec l’enfant peut s’avérer très heuristique non seulement pour préciser les distinctions entre les deux perspectives, mais aussi pour venir féconder le champ de la psychanalyse en général, et celui de la cure-type en particulier.