L’épreuve de la diversité
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L’épreuve de la diversité

Disons le tout de go, soit c’est de la psychanalyse, soit cela n’en est pas, mais on ne peut séparer les deux même s’il y a des aménagements du cadre pour les psychothérapies. Comme Roussillon dans cette même revue et sur ce même débat (2006), nous contestons la distinction entre psychanalyse et psychothérapie psychanalytique. Cette distinction n’est que formelle et n’apporte ni un supplément de théorie ni de pratique. L’opposition ne passe pas entre psychanalyse et psychothérapie mais entre psychanalyse et suggestion contestée par Freud ; il en découle donc que la psychanalyse est une psychothérapie (Roussillon, 2006, p.43). De par notre expérience psychanalytique avec les bébés et les migrants par exemple, nous voudrions proposer ici l’idée qu’il est un autre point qui fonde le processus psychanalytique, c’est la position contre-transférentielle du thérapeute et pas le dispositif qui, lui, doit varier pour s’adapter aux besoins et à la spécificité des situations rencontrées. Il s’agit de s’adapter au sens noble du terme aux patients, à leurs demandes et leurs besoins c’est-à-dire de penser à partir d’eux.

Les variantes de la cure restent de la psychanalyse et sans nul doute l’aiguillonne et la renouvelle. Penser à partir de la subjectivité, telle qu’elle se déploie dans ses formes singulières et des structures qui la portent et l’informent qu’elles soient familiales, sociales ou culturelles. Ainsi, un bébé ne parle pas et pourtant si on pense à partir de lui et qu’on se laisse affecter par l’être-bébé, on peut s’adapter à lui et aux bras qui le portent pour traduire son langage et l’inscrire dans un processus psychanalytique (Lebovici, Golse). De même, pour les patients migrants qui viennent d’ailleurs, qui, parfois, ne parlent pas la même langue que le psychanalyste, parfois encore sont habités par des représentations et des structurations qui ne nous sont pas d’emblée familières et auxquelles pourtant on peut, on doit s’adapter pour traduire ses langages et lui permettre une inscription dans un processus psychanalytique (Devereux, Nathan, Moro). Et il en est d’autres, les adolescents qui agissent plus qu’ils ne parlent, les patients toxicomanes qui cherchent à s’anesthésier…

Mais si sous cette diversité, la psychanalyse est “une et indivisible” cela suppose plusieurs conditions qui passent d’abord et avant tout par la construction de la position contre-transférentielle du thérapeute psychanalyste, telle était, au sens de Devereux, la véritable révolution de la psychanalyse. Il s’agit pour le psychanalyste d’expérimenter une position spécifique qui allie l’être et le faire et qui allie investigation et soins. Revenons, pour en comprendre les termes, à la définition de la technique selon Freud. Dans ses Écrits techniques de 1923, Freud définit la cure psychanalytique comme : un procédé d’investigation des processus psychiques ; une méthode de traitement des troubles névrotiques, fondée sur cette investigation ; des concepts acquis au moyen de cette méthode et qui fusionnent progressivement en une discipline scientifique nouvelle. En fait, les deux versants, celui de l’investigation et celui du soin, sont toujours liés pour Freud qui n’établit ainsi pas de frontière qui isolerait le normal du pathologique.

Penser à partir du faire : l’enjeu de la recherche sur les processus

Les études actuelles sur les psychothérapies nous contraignent à penser une véritable méta-théorie des psychothérapies qui intègre la question de la relation thérapeutique psychanalytique, facteur commun de toute psychothérapie psychanalytique et, d’autre part, les facteurs spécifiques mis en œuvre dans des thérapies particulières. Finalement ces modifications des paramètres en milieu naturel (individuel, groupe, temps, nature des interventions…) sont le véritable laboratoire de la psychanalyse. Que se passe-t-il en modifiant tel paramètre ? Et pourquoi ? “Penser qu’au sein d’un même dispositif tous les aspects de la vie psychique peuvent être abordés, relève de l’utopie ou de l’idéologie, et d’une méconnaissance des limites inévitables de tout dispositif pratique” (Roussillon, ibid, p.45). Observer, décrire, conceptualiser, évaluer, ce qui se déroule dans un certain dispositif et ce qui change dans un autre permet d’avancer dans la compréhension des processus à l’œuvre dans une psychothérapie mais aussi de leurs limites “Chaque dispositif mobilise, du fait de sa configuration spécifique, des pans particuliers de celle-ci qu’il permet d’éclairer par l’analyse, ou d’une face particulière de ceux-ci qu’il rend interprétable. Mais chaque dispositif, du fait même des particularités de sa configuration, tient aussi éloigné du transfert d’autres aspects du fonctionnement psychique” (ibid.). La recherche sur les processus nous semble être la plus importante et la plus spécifique du champ des psychothérapies dans la mesure où elle nous permet de comprendre, ce que l’on fait ou doit faire, comment on le fait ou ce qui se passerait si on faisait autrement et enfin pourquoi. C’est donc une recherche sur la complexité à laquelle on ne peut renoncer car elle est gage d’efficacité et de transmission possible.

Faire avec et se laisser affecter par le faire : l’enjeu de la formation

Les discussions actuelles en France sur le statut des psychothérapeutes se centrent bien souvent sur la question de la définition “Qui peut devenir psychothérapeute” et pas assez, à notre goût, sur le comment, sur la formation, sur l’évaluation, sur la formation continue… en un mot sur la formation de l’être et le faire thérapeute. On ne s’improvise pas psychanalyste, on le devient, mais comment ? C’est sans doute ce comment qui doit faire l’objet d’une réflexion vigoureuse. Contrairement à d’autres pays européens, l’Université est trop peu engagée dans cette formation aux côtés des instituts de formation alors que cela pourrait développer une articulation plus grande entre formation et recherche et, entre la psychanalyse et les autres disciplines présentes à l’Université, la médecine, toutes les sciences humaines comme la psychologie, la linguistique ou l’anthropologie mais aussi la littérature ou l’histoire. L’université pourrait être un lieu privilégié où la psychanalyse serait affectée par les données des autres et où elle pourrait, en retour, affecter en tant que méthode d’investigation certaines recherches en sémiologie linguistique, en anthropologie des processus intimes ou en littérature.

Pour se former, il y a sans doute plusieurs manières de faire : soit apprendre d’abord les facteurs communs à toute psychothérapie, c’est ce que l’on appelle ici la position psychanalytique et ensuite apprendre à faire ce que l’on est sensé faire pour comprendre et mettre en œuvre une technique particulière. Ou de manière plus initiatique, tendre vers le général par le particulier c’est-à-dire par un apprentissage qui part d’abord de soi, par une psychanalyse personnelle puis didactique, on apprend sur soi la technique psychanalytique et on l’applique à la psychothérapie psychanalytique. Et on retrouve au cœur de cette formation l’apprentissage de la position psychanalytique qui fonde la psychanalyse. Ces deux modalités coexistent en général dans la plupart des manières d’apprendre mais il importe de définir les modes d’entrée dans les formations nécessairement plurielles, les modalités du faire et comment on les termine. D’autant qu’en général, la pratique vous oblige à mettre en œuvre des psychothérapies alors que votre propre analyse et encore davantage votre processus de formation à la psychanalyse n’est pas terminé. Et, plus on est jeune, plus on a des patients complexes par exemple, à l’hôpital où les internes apprentis thérapeutes entreprennent des psychothérapies et, il devrait en être de même des psychologues. Plus encore que le statut, question qui agite l’ensemble de la communauté, il importe de structurer de manière efficiente et adaptée à notre objet la question de la formation et l’articuler à celle de la formation universitaire et celle de la recherche. Formation à la psychanalyse et formation à telle pratique particulière par exemple ce qui suppose un apprentissage minutieux des limites et du contre-transfert.

Se joue par conséquent la nécessité de la formation et celle de la recherche sur les processus thérapeutiques eux-mêmes. C’est donc à ce double prix, que sous la diversité des processus thérapeutiques, la psychanalyse est en mesure de faire la preuve de sa capacité à intégrer des questions qui n’existaient pas à l’origine, qu’elle déploie sa créativité et même qu’elle se renouvelle par ses marges. C’est, nous croyons, un point crucial, fidèle à l’esprit transgressif qui doit présider à toute position psychanalytique, loin des tentations normatives ou idéologiques qui régulièrement hantent la psychanalyse et son histoire, ici et ailleurs.

Bibliographie

Moro M.R., Lachal C., Les psychothérapies. Modèles, méthodes et indications, Paris: Editions Armand Colin ; 2006.

Roussillon R., “Sur l’opposition entre psychothérapie/psychanalyse”, Carnet Psy, juin 2006, p.43-45.

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Psychanalyse et psychothérapie