Les films familiaux
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Les films familiaux

En 1978, Massie a publié dans deux prestigieuses revues scientifiques américaines ses premières recherches sur le début des psychoses infantiles étudiées avec les films familiaux. Les deux travaux, « The early natural hystory of childhood psychosis : ten cases studied by analysis of family home movies of the infancies of the children » et « Blind ratings of mother-infant interaction in prepsychotic and normal infants », représentent une étape capitale de cette méthode dans l’étude de l’autisme et des troubles envahissants du développement. Les reconstructions anamnestiques des parents posent des difficultés qui tiennent soit à l’influence de la pathologie sur la reconstruction des premières phases du développement de l’enfant, soit au pouvoir d’induction et de distorsion de certaines questions.

La lecture des séquences des films familiaux permet à l’auteur d’analyser trois types d’informations : observations longitudinales de l’interaction sociale mère-enfant ; observation et étude des premières anomalies comportementales et de leur développement ; observation qualitative du développement cognitif et neuromoteur de l’enfant.

Les études de Massie, présentées dans son livre Childhood Psychosis in the First Year of Life (1984), développaient une méthodologie expérimentale très rigoureuse qui permettait de recueillir des informations et d’élaborer des données. Dans ce livre, les résultats montrent la présence de signes visibles au cours de la première année de vie permettant de différencier les enfants qui auraient développé une pathologie autistique de ceux avec un développement normal.
Ces signes sont :

  • l’interaction (détachement émotionnel réciproque entre la mère et l’enfant, syntonisation tonique réduite, atypies posturales, évitement du regard) ;
  • le développement psychomoteur (hypotonie, amimie, initiative insuffisante dans la motricité, attention insuffisante aux objets et aux gens, retard et déviances dans le développement cognitif avec prévalence de schémas sensori-moteurs dans des phases avancées du développement).

L’auteur proposait enfin un mécanisme pathogénétique avec deux voies d’accès : chez l’enfant, une tendance innée à la dépression et à une réponse émotionnelle réduite peut influencer les affects maternels ; une dépression de la mère peut amener à un progressif retrait de l’enfant de la relation ; plus rarement l’évitement actif peut être une conséquence de modalités d’interaction hyperstimulantes, incohérentes et désorganisées. À cette époque, l’habitude de filmer les enfants n’était pas encore très répandue et malgré les différentes initiatives entreprises pour agrandir l’échantillon, ces études pionnières sont restées limitées à peu de cas et n’ont pas permis de généraliser les conclusions atteintes. Massie a ouvert une nouvelle voie pour la recherche sur l’autisme, en offrant à la communauté scientifique cet instrument : les films familiaux. Au cours des années 1980 et 1990, d’autres groupes de recherches, aux États-Unis et en Europe ont poursuivi la recherche sur l’autisme en utilisant cet instrument, avec l’objectif commun de reconnaître aussi précocement que possible les symptômes d’autisme, de façon à permettre au clinicien d’anticiper le moment du diagnostic, actuellement placé par le dsm-IV à la troisième année de vie. Différents instruments ont été ainsi élaborés afin d’analyser de manière de plus en plus précise et quantifiable non seulement le trouble comportemental mais aussi les anomalies des compétences évolutives. Ce décentrement du focus a permis d’avancer de nouvelles hypothèses à propos du début de la pathologie autistique. On s’est rendu compte que les enfants présentaient une série de compétences qui graduellement, au cours de l’évolution, disparaissaient. L’étape suivante de la recherche a donc été d’étudier de façon plus systématique ces compétences, le moment de leur émergence et celui de leur déclin, en comparant ces mêmes comportements dans le développement de l’enfant normal. Notre groupe a élaboré des grilles spécifiques pour l’évaluation, modifiées au fur et à mesure que les résultats obtenus nous confirmaient ou contredisaient les hypothèses de départ.
À l’heure actuelle nous pouvons formuler certaines conclusions : il est possible d’envisager plusieurs modalités de début pour le trouble autistique : une, la plus fréquente et la plus connue dans la littérature, que nous avons appelée early onset coïncide avec les caractéristiques des cas décrits dans les études de Massie ; l’autre, plus rare (le 30 % des cas observés par nous-mêmes) late onset, dans laquelle les symptômes apparaissent seulement après la première année de vie. Dans les deux modalités de début, les enfants présentent, au cours de leur développement précoce, une série de compétences qui concernent le domaine social, celui de l’intersubjectivité et de la symbolisation. Les compétences intersubjectives sont celles qui apparaissent compromises le plus précocement ; les compétences sociales sont au contraire maintenues intègres plus longtemps, et c’est probablement la raison pour laquelle beaucoup d’enfants échappent encore aux dépistages précoces, comme celui tenté par Baron-Cohen avec le chat. Une analyse plus fine des compétences nous a montré que très précocement il est possible de faire ressortir des différences par rapport aux enfants normaux, soit sur le plan qualitatif, soit sur le plan quantitatif. Les enfants qui développeront un trouble autistique, bien qu’ils aient certaines capacités, ont tendance à les utiliser moins que les enfants normaux, ou à les montrer davantage dans la relation avec les objets plutôt que dans la relation avec les personnes. La recherche nous a aussi permis de faire l’hypothèse que, dans l’autisme, l’attention n’est pas impliquée en tant que fonction primaire, mais seulement dans ses fonctions de choix concernant les stimuli sociaux. La recherche nous a cependant confrontés avec une importante augmentation, chez les enfants autistes par rapport à ceux qui ont un développement normal, de comportements renvoyant à une attention particulière aux objets. Cette organisation fonctionnelle particulière du cerveau pourrait être responsable du peu d’intérêt pour le visage humain, ce qui a indubitablement un rôle extrêmement dommageable pour le développement cérébral qui est programmé pour prendre le visage (de la mère) comme le stimulus visuel le plus fort dans le développement de l’intersubjectivité de l’enfant, qui, à son tour, joue un rôle essentiel dans la mise en œuvre des rapports aux parents. Le défaut de ce système social dyadique représente le centre du dysfonctionnement autistique et il est probable que toute intervention précoce doive tenir compte de ce déficit. Ces données doivent être confirmées sur des échantillons plus larges et encore validées par la comparaison avec les films familiaux sur des enfants qui vont développer d’autres formes de psychopathologie.
Les implications cliniques des recherches qui ont suivi les études pionnières de Massie sont en tout cas très importantes : l’individuation dans les premiers dix-huit mois d’indicateurs de risque réellement fiables peut permettre, par la formation et la sensibilisation des professionnels de la première enfance, une prévention et une protection permettant d’éviter à l’enfant autiste et à tout son écosystème les graves conséquences d’une installation progressive de la pathologie autistique. La littérature reconnaît l’importance, pour le pronostic du trouble autistique, d’un traitement opportun et précoce, qui soit instauré dans la phase d’émergence du trouble.

Note

  1. [*]
    Sandra Maestro, Filippo Muratori, Institut scientifique Stella-Maris, Université de Pise.
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24 articles
Autisme : état des lieux et horizons