Pertinence des dispositifs groupaux dans la prise en charge des auteurs de violences. Un dispositif spécifique : le psychodrame bi-modal
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Pertinence des dispositifs groupaux dans la prise en charge des auteurs de violences. Un dispositif spécifique : le psychodrame bi-modal

Dans le travail thérapeutique avec des auteurs de violences physiques et ou sexuelles, qu’ils soient ou non sous main de justice, la pertinence des thérapies usant de dispositifs groupaux fait actuellement consensus pour les acteurs du champ clinique, s’adressant à des sujets qui présentent tous, peu ou prou, une difficulté dans la reconnaissance de leurs affects1. Pour en comprendre l’à-propos, il convient de rappeler quelles sont les particularités des organisations psychiques de ces auteurs et de les mettre en correspondance avec les apports de l’usage thérapeutique des groupes. Parmi la multiplicité des techniques groupales utilisées, une, se détache particulièrement dans leur prise en charge, c’est le psychodrame. Aussi, après en avoir décrit les modalités, je montrerai la pertinence d’un dispositif groupal bi-modal spécifiquement adapté à la prise en charge de tels sujets afin de mobiliser chez eux une capacité d’affectation qui le plus souvent était soit singulièrement altérée, soit en déshérence.

1 – Qui sont les auteurs de violences physique et/ou sexuelles

La criminalité violente et/ou sexuelle est le fait de sujets dont, au plan psychopathologique, la symbolisation, ce travail psychique de mise en représentation du champ pulsionnel, connaît une défaillance qui est plus ou moins large et/ou ponctuelle. « Large » est à comprendre ici comme une potentialité altérée, « ponctuel » comme une zone psychique où un processus d’engrammation n’a pu se réaliser et sera souvent considérée comme clivée alors même qu’elle peut ne jamais avoir été intégrée. Plus cette défaillance sera accentuée, plus l’acte violent sera délétère. Dans de tels cas, soit le sujet ne pourra rien opposer à l’exigence pulsionnelle pour permettre le suspens nécessaire à la représentance et à la mise en œuvre d’une action spécifique satisfaisante, soit l’absence d’inscription primaire2 d’une fraction historique du sujet viendra s’imposer hors de tout contrôle possible au moment de l’émergence de l’agir violent, alors considéré comme un « passage à », « par »3 ou un « recours » à l’acte4. Dans un cas comme dans l’autre, c’est la logique de l’évacuation qui prime, au retenir pour représenter se substitue l’évacuer pour survivre. Le risque premier et ultime étant toujours une menace portée sur leur identité narcissique se manifestant sous la forme d’un risque d’effacement plus ou moins vif, ou sous celle d’un effondrement dans les cas les plus sévères. L’acte violent est donc à comprendre comme une forme de sauvegarde, de survie narcissique, voire psychique pour celui qui l’agit. Le suivi au long cours de tels sujets et la prise en charge de leurs familles, indiquent que, dans leur milieu d’accueil premier, en général leur famille d’origine, ils ont toujours fait l’objet de dystraitance, voire de maltraitance psychologique et/ou physique et/ou sexuelle ayant entrainée une difficulté, à partir du champ pulsionnel, à construire et donc à discriminer, voire à reconnaître les affects. Cliniquement cela conduit au constat d’une forme d’indifférence affective où les affects particulièrement de culpabilité, voire de honte sont généralement inopérants.

L’ensemble de ces éléments rapidement évoqués ici, définissent un sujet violent caractérisé principalement par une enveloppe moïque mal définie entraînant un raccrochage à la dimension narcissique, avec une palette de déficits plus ou moins étendue selon l’ampleur de l’altération subjective, qui les situe au plan de la psychopathologie, principalement du côté des pathologies des limites, parfois même proches des psychoses. Les mécanismes défensifs prévalants étant ceux primaires et évacuateurs (défenses projectives, clivage, déni), non symboligènes, la dimension de leur souffrance psychique est souvent non reconnue. En revanche, elle est principalement portée par « l’autre de leur violence », c’est-à-dire la victime5. Dans de telles conditions, l’approche psychothérapique de tels sujets est souvent délicate et, sans intimation forte, en général après un jugement dans le cadre d’une obligation ou d’une injonction pénale de soins, ces sujets ne sont pas demandeurs de soins psychiques. Être violent ce n’est pas être fou.

2 – La pertinence des dispositifs groupaux dans les thérapies à destination des auteurs de violences

C’est dans un tel contexte psychopathologique, face aux difficultés rencontrées par les thérapeutes usant de dispositifs individuels, que l’intérêt d’une indication groupale s’impose pour plusieurs raisons6. Le groupe, Kaës l’a bien signifié, est un « objet d’arrière-fond narcissique »7. Reprise du groupe primaire familial dans cet espace, toute mise en jeu révélera une dimension de celui-ci. En tant qu’objet8 le groupe occupe aussi une position tierce entre le sujet auteur et l’autre qu’il soit un alter égo ou un thérapeute. Le groupe, dans sa fonction d’étayage, fonctionne comme un objet médiateur de la relation avec ses règles particulières que chacun connaît et se doit de respecter. Le groupe aménage donc le lien à l’autre : évitant tout à la fois le risque, toujours présent chez ces sujets, d’être absorbé par l’autre dans une fusion narcissique, et l’abandon. En effet le groupe, de par sa multiplicité de partenaires et sa pérennité dans le temps, assure une présence en continu et donc une forme de permanence qui ménage les angoisses d’éclatement, au pire d’abandon, au mieux, de ces sujets. Protégé par les règles du groupe, le sujet pourra faire l’expérience d’être, au travers de l’engagement de sa parole, et similaire, et différent des autres participants.

2.1 – Les différents types de groupes

Sur les bases générales que je viens de définir, aujourd’hui reconnues par tous les thérapeutes inscrits dans un modèle psychanalytique, les groupes vont différer selon certaines de leurs caractéristiques. Les deux principales étant :

• Les modalités d’être en groupe (les règles mises en œuvre). On rencontre alors des groupes ouverts (accueil de nouveaux participants tout au long de la vie du groupe) ou des groupes fermés (nombre de participants définis sans accueil de nouveaux et temporalité spécifiée à l’avance).

• La médiation utilisée : groupe de parole, photolangage, groupe de relaxation, art-thérapie, musico-thérapie, psychodrame9.

Enfin, il convient de préciser que la mise en groupe est une technique aujourd’hui largement utilisée par de nombreux intervenants auprès de ces sujets, qu’ils soient de la sphère judiciaire (dans les groupes de prévention de la récidive par exemple) ou celle éducative (dans les multiples groupes d’aide et d’appui permettant de fournir à ces sujets des apports pro-sociaux – habiletés sociales par exemple). Ces diverses techniques s’appuient sur les avancées cliniques des praticiens du groupe que je viens de brosser lapidairement, encore convient-il de préciser que le groupe est alors utilisé comme un outil facilitateur promoteur d’un étayage et non directement comme un cadre thérapeutique autorisant le travail d’une analyse des répétitions, dont celle des transferts, qui s’y jouent.

3 – Un dispositif particulier pour les auteurs de violences sexuelles (AVS) : le psychodrame bi-modal

Depuis le début des années 2000, nous avons expérimenté au PARI10 un dispositif de psychodrame particulier qui prend en compte, dans la prise en charge, la dimension groupale mais aussi individuelle.

3.1 – L’indication de psychodrame

L’indication de psychodrame est liée au moins à deux raisons.

• La première se base sur le fait que nombre des sujets Auteurs de Violences Sexuelles présente un accrochage à la dimension perceptive, du fait même de leur carence représentative. Cet appui sur le perceptif, nécessaire pendant tout un temps du suivi thérapeutique, et pour certains tout au long de leur vie, le dispositif psychodramatique l’assure de manière très vive. D’abord par la pérennité et la permanence du groupe, qui assure une fonction vicariante11, mais aussi par le fait de se voir pour chacun vu dans, non seulement le regard des autres mais dans la qualité de leur présence. Il en ira de même pour l’ensemble de la sensorialité (entendre, sentir, éprouver), dont le tact, car s’il est interdit de se toucher, nous travaillons beaucoup sur la manière dont chacun est touché à l’intérieur de lui par les autres et surtout comment il traite cette dimension-là, comment donc il s’en approprie un sens. C’est précisément là que le travail de mobilisation des affects prend toute son importance.

• La seconde raison découle de la première, c’est la fonction du jeu. Les sujets pour lesquels nous indiquons le psychodrame sont des sujets qui présentent un inachèvement de leurs processus de transitionnalité. Cela signifie que ces sujets ne savent pas « jouer » au sens winnicottien du playing12, ils agissent à la place. Il est donc, dans un premier temps, inutile de chercher à donner du sens à des actes qui fonctionnent pour eux comme une forme de survie psychique, si l’on n’a pas antérieurement permis que se développe une capacité d’accueillir ce sens, si l’on n’a pas permis que se déploie une capacité de symbolisation qui sera activée par la fonction jeu du psychodrame. Le jeu, par la reprise (mise en figuration) des situations antérieurement vécues ou rêvées, devient non seulement un objet pour la psyché mais aussi un processus. Par la transformabilité qu’il supporte, il assure la fonction d’un médium malléable13. Le jeu psychodramatique présente pendant le temps où il est agi par les protagonistes, une double fonction. Une fonction de type hallucinatoire : ce qui se joue sur la scène du groupe est la figuration d’« une autre scène », et une fonction perceptive qui engage la sensorio-motricité. Cette dernière dimension permet l’exploration de la scène du jeu, de sa trame narrative mais aussi et surtout de celle affective, et ouvre ainsi à un potentiel qui n’était, le plus souvent, pas compris dans l’élaboration première du jeu. L’agir violent sexuel, considéré comme un affect inachevé14 dans sa fonction représentative, fonctionnera comme une hallucination neuro-sensori-motrice15 qui a, pour la psyché, la fonction d’un signifiant formel16. C’est bien ici toute la dimension subjectivante de l’objeu tel que René Roussillon l’a défini et travaillé17. La sensori-motricité, convoquée par la mise en jeu, est particulièrement importante pour l’appropriation subjective de ce qui va s’engager dans le jeu et qui sera éprouvé par les protagonistes. C’est par cette dimension que, « quelque chose de l’expérience subjective qui y a été logé » pourra être exploré18 et parfois même plus simplement expériencié. Ainsi, le jeu vient-il faire faire une singulière expérience à celui qui s’en saisit et symbolise en quelque sorte son activité symbolisante. Pour reprendre une proposition de R. Roussillon à propos du jeu, en psychodrame, le jeu pourrait ainsi être considéré comme le symbole de la symbolisation.

3.2 – Un dispositif classique…

Nos groupes sont constitués de 6 à 8 sujets, tous sous obligation ou injonction pénale de soins. Les groupes sont constitués sur la base de l’agir délictueux prévalent. Un groupe est centré sur les crimes et délits sexuels et un autre sur les addictions via internet, particulièrement la pédopornographie. Les sujets présentant des violences uniquement physiques sont inclus dans des groupes plus généralistes. Une telle partition est rendue nécessaire afin de faciliter la circulation de la parole chez les Auteurs de Violences Sexuelles. Chaque groupe est animé par un couple hétérosexué de psychodramatistes, tous deux psychanalystes à la Société Psychanalyste de Paris. Un/e observateur/trice est aussi présent/e, en général il s’agit d’un/e stagiaire psychologue qui prend des notes. Ni il/elle ne joue, ni il/elle n’intervient pendant les séances.

Le dispositif que nous avons mis en œuvre s’appuie sur celui classique du psychodrame tel qu’il a été mis en œuvre par les Lemoine et développé depuis par la SEPT19 où, à propos de la parole de chacun, les thérapeutes proposeront de représenter (jouer) une scène qui reprend ce qui vient d’être évoqué par tel ou tel participant. C’est une scène du passé récent ou ancien, ou encore une scène d’un rêve fait la nuit pendant le sommeil, voire un délire. En effet, on ne joue ni les rêveries, pas plus que des scènes inventées, comme on peut le rencontrer dans des psychodrames individuels. Plusieurs scènes peuvent être repré-sentées dans la même séance. Les thérapeutes ne jouent pas mais participent à l’animation de la scène qui est dirigé par le sujet. C’est lui qui choisira les protagonistes du jeu parmi les autres du groupe, en spécifiant à chaque fois ce qui fait son choix (ce qui permet de relever les traits d’identification). À la suite de chaque scène les membres du groupe sont invités à évoquer leurs remarques, éprouvés et associations. Pendant le jeu, nous utilisons un certain nombre de techniques classiques : le changement de rôle et le doublage20.

Une fois posée l’indication21, et avant son insertion dans le groupe, chaque participant est informé individuellement des règles de fonctionnement du groupe. Ces dernières sont au nombre de cinq : libre associativité, confidentialité, restitution, abstinence et régularité22. J’insiste sur la règle d’abstinence. C’est la règle du « faire semblant » et de l’interdit de se toucher. Cette règle est particulièrement importante, elle signifie implicitement que tout peut être joué, et reprend l’interdit du toucher comme prémisses de l’interdit de l’inceste tel qu’Anzieu l’a travaillé23 et qui est généralement défaillant dans les espaces familiaux de ces sujets. Cette règle, particulièrement importante, garantit l’intégrité corporelle de chacun : « Dans ce groupe il n’y aura pas de franchissement incestueux, on restera dans le cadre de représentation conduisant au mieux à un travail métaphorique ». Cela signifie qu’en contre point, ce qui comptera, c’est la parole. La parole a force de loi. La juridiction sera donc celle du fantasme et non plus celle de l’acte. Avec de tels sujets, cette règle doit être édictée verbalement et ne peut être non dite, comme cela se fait classiquement dans d’autres groupes.

3.3 – …mais bi-modal dans son déploiement

Si je viens de décliner l’aspect groupal du dispositif, un aménagement important fait aussi partie du cadre : chaque sujet participant au groupe est reçu par l’un des thérapeutes, toujours le même une fois qu’institué, une fois tous les quinze jours, en entretien individuel pour « faire le point » sur sa position dans le groupe. Pendant cet entretien, il est précisé que ne seront abordées que les questions qui relèvent du groupe. Il ne s’agit pas d’entretien qui conduirait à une prise en charge parallèle, comme on le voit souvent dans le cadre des thérapies bi-focales, où deux thérapeutes différents prennent en charge un même patient selon des modalités techniques différentes mais jugées complémentaires par l’équipe de soins. Ici, au contraire, il est important que ce soit les mêmes thérapeutes qui assurent cette dualité de pratiques. Pendant ces « reprises » individuelles, ne sont pas abordées des questions qui n’auraient pas été parlées dans le groupe. Cela permet à chacun de faire état de son vécu groupal et de pouvoir, avec son thérapeute référent, en régler certains points. Bien entendu, il lui est précisé que ce qui se dit dans ces entretiens fait partie intégrante du groupe et que rien ne saurait être dans une confidentialité, cela pour éviter la complicité des dénis et les risques d’emprise. Ainsi, l’espace groupal est étendu jusque dans cet entretien individuel et régi par les mêmes règles.

Un tel dispositif nous permet de faire faire au sujet une expérience spécifique. Celle de nous percevoir et identique et différent de ce que nous sommes en groupe. Cette bi-modalité, groupale et individuelle avec le même thérapeute permet au sujet de pouvoir mettre en perspective ses éprouvés, d’en faire aussi une reprise et ainsi de pouvoir se les approprier. Pendant la séance individuelle, est mis en jeu le jeu de la séance groupale ; le jeu devient l’objet d’un échange qui historise l’expérience groupale et l’intègre à un continuum, ce qui permet de travailler particulièrement les défenses projectives et de spécifier la question des affects qui sont mis en mouvement au regard des autres participants.

Cette expérience bi-modale a été utilisée par nos confrères suisses qui en ont montré l’efficacité24.

4 – Psychodrame et travail d’affectation

Dans le psychodrame, le fait de représenter une scène permet à chacun d’occuper diverses places dans des histoires qui sont en décalage avec la sienne mais qui y sont liées par les associations de la chaîne associative groupale. Ainsi l’affect que l’un des participants évoque connaîtra un enrichissement en passant de corps en corps. Chacun évoque ce que lui fait penser ce qui est dit. Chacun est donc affecté en fonction de sa propre capacité d’affectation. Cela signifie que le sujet écoutant les associations d’autrui se laissera habiter par elles et, pour leur donner une forme pensable, devra (ce qui est l’effet de la règle de libre association) supporter une régression, si minime soit-elle, qui lui permettra de trouver les éléments de son histoire infantile l’autorisant à se représenter ce qui est dit. Cela suppose surtout, que chacun des membres est dans une position de relative plasticité psychique. Cette dernière est permise par le fait que celui qui parle, même s’il s’adresse au groupe, est perçu le plus souvent comme s’adressant aux thérapeutes, ce qui permet chez les autres participants un abaissement des systèmes défensifs25 induisant une écoute relativement accueillante. Cet effet de plasticité psychique se perçoit dans les effets de surprise qui fait formuler parfois à un membre du groupe une dimension que l’autre, celui qui parle, n’est pas encore en mesure d’évoquer. Nous assistons ainsi au processus suivant : la même source pulsionnelle (le dire d’un participant à valeur de source pulsionnelle pour le fonctionnement du groupe de psychodrame) va trouver une polymorphie représentationnelle, une polyphonie pour reprendre le terme de Kaës26. Polyphonie qui modifiera en retour la source pulsionnelle elle-même. Les associations des membres du groupe évoluant sans cesse (lorsque la séance se déroule sans trop d’entraves) selon un processus en spirale évolutive. Ce processus pourrait être décrit comme suit : ce qui est évoqué par un membre du groupe affectera le sujet à certaines places dans sa mémoire et ces places lui serviront à mettre en forme ce qui l’a affecté et qui peut ne pas avoir encore été expériencié. Mise en forme qui révèle aux autres les places internes où le sujet se sent affecté et qui lui reviennent dans le miroir du dire du groupe. Ainsi le groupe réfléchit les parts pouvant être occultées mais à l’œuvre dans les psychés individuelles, particulièrement les signifiants formels qui constituent la racine des actes violents27. Cette mise en forme de ce qui l’a touché, affecté, constitue, pour reprendre le terme de Green, une activité de représentante psychique28.

Pour conclure : le psychodrame bi-modal, technique vicariante du socle de l’intersubjectivité

Ce qui fonde le dispositif bi-modal de ce psychodrame à destination d’auteurs de violences criminelles sexuelles est la double dimension du groupe où le corps est mis en jeu dans les scènes représentées et, dans la rencontre individuelle, la mise en perspective de l’histoire du groupe qui constitue un temps meta, assimilable à une parole « auto » sur l’histoire même du groupe qui est en train de se vivre. Cette dernière dimension participe des prémisses, pour ces sujets, de la mise en place d’une réflexivité. Si, comme le propose R. Kaës, corps et groupe forment le socle basal de ce qui fonde notre être-au-monde constituant l’essence du narcissisme primaire29, la triade groupe/corps/jeu, forme, elle, le socle de l’intersubjectivité. Les scènes jouées sont l’équivalent d’un rêve dans le cadre du groupe de psychodrame lui-même conçu comme espace du rêve30. Ainsi pensé, le jeu permettra au sujet de découvrir, en les expérimentant, les diverses places où il aura été affecté par son histoire. Comme dans un rêve, le sujet est, dans le jeu, tous ses personnages mais aussi tous ses objets. Chacun d’eux venant incarner une part de lui-même mais surtout, comment s’est inscrite cette part, autrement dit, comment elle fut subjectivée. Par les moyens techniques propres au psychodrame, chacun des participants étoffera la symbolisation des parts restées en souffrance de son histoire qui, parfois viendront s’incarner dans le corps des autres. La reprise individuelle participant alors, par sa fonction réflexive, de l’appropriation de ces parts évacuées qui sont alors, par l’espace unifié du groupe, en attente de retour, en attente d’affectation.

Le jeu permet ainsi, pour chaque participant, l’appropriation subjective de sa pulsionnalité dont la construction progressive d’affects différenciés en sera le témoin. L’espace groupal, similaire à celui du rêve, le jeu comme promoteur du rêve proprement dit et la bi-modalité du dispositif assurant, dans les temps individuels, une dimension de reprise réflexive de ces expériences, transforment les agirs violents criminels en des « actes animiques » qui viendront s’inscrire d’abord dans la néo histoire que constitue la vie du groupe, puis par le biais des identifications au groupe et de la vicariance assurée par ces reprises individuelles, dans l’histoire propre de chaque participant. Pour chaque membre du groupe, ce travail appropriatif permet aux parts restées en souffrance de symbolisation, de s’inscrire dans une histoire pensable, évocable et donc mémorisable et de quitter ainsi les voies expulsantes de l’agir.

Notes

  1. Pour une revue d’ensemble de cette question, consulter : Aubut J. (1993) : Les agresseurs sexuels : théorie, évaluation et traitement, Montréal, La Chenelière, Paris, Maloine, 328p. ; Balier C., Savin B. (1995) : « Processus thérapeutique et changement en milieu carcéral » in M. Gabel, S. Lebovici, P. Mazet (1995), Le traumatisme de l’inceste, Paris, PUF, 254 p., p.211-222. ; Ciavaldini A., Balier C., (2000) : Agressions sexuelles : pathologies, suivis thérapeutiques et cadre judiciaire, Paris, Masson, 224 p. ; Conférence de consensus (2001) : Psychopathologie et traitements actuels des auteurs d’agression sexuelle, Fédération Française de Psychiatrie, Paris, John Libbey Eurotext. ; Coutenceau R., Smith J. (2010) : La violence sexuelle : approche psycho-criminologique ; évaluer, soigner, prévenir, Paris, Dunod, 386 p. ; Balier C. (1988) : Psychanalyse des comportements violents, Paris, PUF.
  2. En référence au concept de symbolisation primaire dégagé par René Roussillon. Roussillon R. (2001) : Le plaisir et la répétition, Paris, Dunod, 218 p.
  3. Passage par l’acte, proposition faite par R. Roussillon pour indiquer que dans tout acte s’y trouve toujours quelque chose du sujet qui y est engagé (Roussillon R. dir. (2007) : Manuel de psychologie et de psychopathologie clinique générale, Masson, 702 p.)
  4. Balier C. (1988) : Psychanalyse des comportements violents, Paris, PUF, 287 p.
  5. Ciavaldini A. (2009) : op. cit.
  6. Savin B. (1997) : « Abord analytique groupal dans le traitement des délinquants sexuels », in ss dir. M. Gabel, S. Lebovici, P. Mazet, Le traumatisme de l’inceste, Paris, PUF, p.223-238.
  7. Kaës R. (1993) : Le groupe et le sujet du groupe, Paris, Dunod, 352 p.
  8. Pontalis J.-B. (1963) : « Le petit groupe comme objet », in Après Freud, Paris, Gallimard,, 1993, p. 257-272.
  9. Demeure M., Schiavinato J. (2000) : « Psychodrame de groupe en maison d’arrêt », in ss dir. A. Ciavaldini et C. Balier, Agresseurs sexuels : pathologies, suivis thérapeutiques et cadre judiciaire, Paris, Masson, coll.« Pratiques en psychothérapie », p. 209-218.
  10. PARI : Psychothérapies, applications et recherches intersectorielles. Plate forme référentielle d’accueil et de traitement ambulatoire des AICS du Centre Hospitalier Alpes-Isère. Unité fondé en 1981 et fermée d’autorité le lundi 7 janvier 2013. Rouverte depuis avec une équipe entièrement renouvelée. Pour les spécificités techniques de cette unité voir Ciavaldini A. (2014) : « L’incroyable (et triste) histoire du PARI. Réflexion d’aujourd’hui sur la perversion et la violence institutionnelles », in Revue de psychothérapie psychanalytique de groupe, 2014/2, n°63, p. 161-178. [11] Qui est comprise comme l’exigence de soutien qu’évoque Kaës. Kaës R. (1993) : Le groupe et le sujet du groupe, Paris, Dunod, 352 p., p. 291.
  11. Winnicott D. W. (1971) : Jeu et réalité, Paris, Gallimard, 1975 pour la trad. française, 218 p.
  12. Tel que dans la suite de Marion Milner, René Roussillon l’a travaillé : Milner M. (1977) : « Le rôle de l’illusion dans la formation du symbole », traduction in Revue française de psychanalyse, 1979, vol 43, n° 5-6, p. 844-874. ; Roussillon R. (1991) : « Un paradoxe de la représentation : le médium malléable et la pulsion d’emprise », in Paradoxes et situations limites de la psychanalyse, Paris, PUF, p. 130-146.
  13. Ciavaldini A. (2005) : « L’agir : un affect inachevé », in L’affect, ss dir J. Boushira et H. Parat, Monographie de psychanalyse, Paris, PUF, pp.137-162.
  14. Ciavaldini A. (2006) : « L’agir violent sexuel », in Chabert C., Ciavaldini A., Jeammet P., Schenckery S. (2006) : Actes et dépendances, Dunod, 221 p., p. 111-170.
  15. Ciavaldini A. (1999) : Psychopathologie des agresseurs sexuels, Masson, éd. revue, 2001, 255 p.
  16. Roussillon R. (2008) : « Le jeu et le potentiel », in Le jeu et l’entre-je(u), Paris, PUF, 306 p., p. 67-105.
  17. Roussillon R. (2008) : op. cit., p. 84.
  18. SEPT : Société d’études du psychodrame pratique et théorique. Consulter Lemoine P. et G. (1972) : Le psychodrame, Paris, Robert Laffont, 382 p.
  19. Le doublage consiste à proposer, aux membres du groupe, s’ils ont une remarque à faire dans le rôle de l’un ou l’autre des personnages, de se lever, de se placer derrière le protagoniste et de dire ce qu’ils ont à dire, comme si c’était le protagoniste qui le disait. Technique souvent utilisée par les co-thérapeutes.
  20. Pour plus d’informations sur nos dispositifs d’accueil, d’évaluation et de prise en charge des auteurs de violences, consulter Ciavaldini A. (2012) : Prise en charge des délinquants sexuels, Paris, Fabert, 60 p.
  21. Pour plus d’information sur le dispositif, consulter Ciavaldini A. (2004) : « Mobilisation des affects par le psychodrame de groupe dans le traitement des auteurs d’agressions sexuelles », Revue de Psychothérapie Psychanalytique de Groupe, n° 42, p. 69-78.
  22. Anzieu D. (1984) : « Le double interdit du toucher », Nouvelle revue de psychanalyse, 29, p. 173-187.
  23. Devaud-Cornaz C., Guraiib G. (2011) : « Psychothérapie de groupe d’auteurs de violence sexuelle. Intérêt d’un traitement de groupe combiné avec un suivi individuel », in Psychothérapies, 2011/1, vol. 31, p. 27-37.
  24. Tardif M. (1993) : « Les psychothérapies de groupe », in Aubut J. et col., Les agresseurs sexuels, Montréal, de la Chenelière, p. 176-205.
  25. Kaës R. (1993) : op. cit.
  26. Ciavaldini A. (1999) : Psychopathologie des agresseurs sexuels, Dunod, 2e éd revue, 2001, 255 p.
  27. Green A. (1988) : « Vue de la Société Psychanalytique de Paris. Une conception de la pratique », Revue Française de Psychanalyse, 3, p. 569-593.
  28. Kaës R. (1993) : op. cit., p. 285.
  29. Anzieu D. (1975) : Le groupe et l’inconscient, Paris, Dunod, 3e éd. 1999, 288 p.
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La criminalité aujourd'hui dans la pratique clinique