Depuis les années 40, les psychothérapies font partie de la culture américaine. Le psychothérapeute est alors soit un psychanalyste, soit un travailleur social, soit un psychologue behavioriste ou bien un free lance qui exerce comme un entraîneur sportif en donnant conseils et soutiens actifs. Mais ce sont essentiellement les thérapies behavioristes qui dominent. Les heures de gloire de la psychanalyse américaine se situent dans les années 1950-1960, époque durant laquelle la psychothérapie fut considérée comme le vulgaire “plomb” comparé à l’or de l’analyse. La volonté de maintenir la pureté analytique a longtemps dévalorisé la pratique de la psychothérapie dans les sociétés analytiques américaines. C’est toujours le cas dans la formation, malgré la réalité de la pratique générale : la diminution spectaculaire des cas d’analyse ces 15 dernières années a conduit le milieu analytique à pratiquer surtout la psychothérapie. Mais la règle pour la formation analytique est stricte : trois cas supervisés à 4 séances par semaine.
Cependant le cadre dans lequel ces analyses sont pratiquées est parfois flou ; en effet on parle de traitement analytique aussi bien quand les 4 ou 5 séances par semaine sont en face a face. Même si elles ne rentrent pas dans le contexte des analyses supervisées pour la formation, les analyses par téléphone ou par email sont de plus en plus au goût du jour. La prescription médicamenteuse est devenue presque inévitable aux USA quelque soit le traitement analytique, et rares sont les analystes médecins qui ne prescrivent pas eux-mêmes à leurs patients, rompant avec la neutralité classique. La peur de diluer la psychanalyse a entraîné une politique rigide des instituts analytiques par rapport à l’analyse. Les années 50 ont été l’époque des grands débats, l’analyse étant définie par le processus, la recherche d’un noyau conflictuel, la continuité du traitement et les fameuses 4 séances par semaine. La psychothérapie étant alors une pratique plus légère dans la fréquence, sans recherche d’analyse du transfert, mais qui pouvait se faire avec le patient sur le divan. Mais les négociations difficiles avec les compagnies d’assurance qui fixaient les tarifs de remboursement et ont tout pouvoir de demander des preuves d’efficacité aux thérapeutes, associées à la profonde diminution des demandes d’analyse et la perte de l’intérêt des jeunes médecins comme des psychologues à l’égard de l’analyse, ont amené les sociétés analytiques à être moins rigides. La pratique de la psychothérapie est reconnue plus officiellement ; pour attirer de nouveaux élèves, certains instituts autorisent le premier cas de contrôle à être un cas de psychothérapie afin d’enseigner les indications de l’analyse et la façon de proposer une analyse à un patient.
Il n’existe pas de statut du psychothérapeute aux USA. Pour pouvoir pratiquer des traitements individuels en institution comme en privé, il faut obtenir une autorisation officielle de l’état des USA où le thérapeute est installé. Ainsi, dans l’état de New York, il faut donner la preuve -diplômes détaillés à l’appui- d’une formation universitaire, médicale ou psychologique, à un niveau de doctorat, et la preuve d’une pratique clinique supervisée pendant au moins 2 ans par un professionnel déjà reconnu par l’administration américaine. En cas de validité du dossier, l’autorisation est donnée de passer un examen de Licensing qui fait le tour des données scientifiques les plus récentes en psychiatrie, psychologie, neurologie. La réussite à cet examen donne l’autorisation de recevoir des patients, donc de pratiquer la psychothérapie dans l’état de New York. Après plusieurs années, il faut réévaluer les connaissances pour prolonger cette autorisation. En cas de déménagement, il faut repasser l’examen dans le nouvel état d’installation. On peut échapper à cette épreuve, car à New York, contrairement à la plupart des autres états, être licensed n’est pas obligatoire pour s’installer comme thérapeute. Mais il faut pouvoir trouver une compagnie d’assurance qui accepte d’assurer une pratique non officielle. C’est la raison pour laquelle les psychothérapeutes qui ne peuvent avoir le droit de passer l’examen de licensing et qui ne peuvent pas être reconnus par les sociétés de psychanalyse, ont entrepris de créer un examen spécial pour les psychanalystes n’appartenant pas à l’association internationale. Certains états offrent depuis peu un examen de licensing en psychanalyse, source de conflits intenses avec les instituts officiels de psychanalyse qui y voient une autorisation légale de pratiquer l’analyse et la psychothérapie à des collègues sans formation analytique. Les débats politiques sont en ce moment lourds devant la menace de voir, comme en Europe, le monde politique légiférer sur le statut des psychanalystes, sans reconnaître la spécificité de la formation psychanalytique dans les instituts faisant partie de l’Association Internationale de Psychanalyse, et en accordant un statut de psychanalyste à des collègues venus d’horizons divers qui n’ont pas toujours la formation clinique ni la rigueur de la formation théorique de ces écoles.
Mais le problème le plus difficile pour les psychanalystes est l’envahissement des thérapies behavioristes et cognitives depuis un quart de siècle. Les traitements behavioristes sont les seuls reconnus par la plupart des compagnies d’assurance, et ce sont les recherches sur l’efficacité de ce type de traitement qui fixent les critères de thérapies. Ainsi, un traitement de plus de 30 séances de psychothérapie est considéré comme inefficace ou même nuisible pour le patient. Les recherches chiffrées déterminent la confiance dans les thérapies et les psychanalystes ont pris du retard pour démontrer leur efficacité. La psychanalyse n’a pas très bonne presse en Amérique, et la pratique de la psychothérapie est donc devenue inévitable.
Dans les années 90, de nombreux instituts de psychanalyse se sont mis à proposer aux jeunes psychiatres et psychologues, parfois aussi aux travailleurs sociaux, une formation de psychothérapeute. Les universités médicales ou de sciences humaines ne donnent presque plus de formation à une connaissance de la vie psychique. Rares, et bien connues, sont les écoles qui offrent dans leur programme une initiation aux théories psychanalytiques, une lecture de Freud ou d’analystes plus récents. La formation des médecins ou des psychologues est presque uniquement axée sur les connaissances neurologiques, génétiques, pharmacologiques et sur la recherche chiffrée. Les jeunes thérapeutes n’ont aucune idée de l’existence d’une vie inconsciente, du transfert, d’une dynamique interne. Tout sera centré sur des causes externes, les traumatismes, et internes, la neurobiologie, et les traitements seront donc médicamenteux et behavioristes. Les formations de psychothérapie offertes par les instituts de psychanalyse sont donc des introductions à la vie psychique, ce que l’on appelle la “psychodynamique”. Il est recommandé aux élèves de psychothérapie de faire une thérapie personnelle, mais ce n’est pas une condition pour commencer la formation.
Une formation analytique est longue et très exigeante, en plus du fait qu’elle coûte très cher aux USA. La formation à la psychothérapie est plus légère -un soir de cours par semaine- et beaucoup plus courte, en général 2 ans, associée à des supervisions faites par des psychanalystes ; cela permet d’attirer de nombreux candidats qui pratiquent déjà la psychothérapie en étant licensed, psychiatres ou psychologues, mais sans aucune formation adéquate. Certains vont ensuite s’orienter vers la psychanalyse et commencer une formation longue, mais ils ne sont pas la majorité.
La puissante association américaine de psychanalyse qui régule la plupart des instituts de formation dans le pays, et fait partie de l’Association Internationale de psychanalyse, a entrepris une Psychotherapy Initiative qui offre un statut spécial aux collègues non analystes pratiquant la psychothérapie dynamique : ils peuvent devenir membres associés, psychotherapist associate, et peuvent participer aux congrès de psychanalyse où des meetings et des ateliers spécialement consacrés à la psychothérapie ont beaucoup de succès. De même, les jeunes psychiatres et psychologues peuvent faire leurs 2 ans de fellowship (une sorte d’internat) dans le cadre des instituts de psychanalyse où leur pratique de psychothérapie sera supervisée par un analyste. Des programmes spéciaux existent aussi avec succès depuis une dizaine d’années : comment pratiquer la psychothérapie avec des patients états limites ou borderlines ? Le travail d’Otto Kernberg avec les patients narcissiques et états limites a été à l’origine de formations spéciales, tant analytiques que psychothérapiques. Comment évaluer quels sont les patients qui relèvent de l’analyse ? Quelle est la bonne technique psychothérapique avec des patients suicidaires, toujours débordant le cadre, ou violents ?
Enfin l’analyse d’enfant a subi aussi la même désaffection que l’analyse d’adulte, dans un monde où la pratique des 4 séances par semaine était la seule reconnue. Les candidats se font rares dans les instituts pour suivre la formation spécifique à l’analyse d’enfant, elle est aussi longue et coûteuse et souvent requise après la formation à l’analyse d’adulte. C’est à la fois lourd pour eux, et il est très difficile de trouver des cas. Ou alors seulement des patients présentant des troubles graves qui rendent difficile le travail analytique à de jeunes élèves. Les nouvelles formations des instituts analytiques à la psychothérapie de l’enfant rencontrent un grand succès.