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Je tenterai d’être bref et clair, tant la question a été embrouillée par des considérations importantes mais malgré tout extrinsèques (notamment de « setting »).

1. Je distinguerai l’acte psychanalytique : ce que le psychanalyste fait en tant que psychanalyste, et la pratique courante des psychanalystes : ce qu’ils font dans une cure, et plus généralement, dans le rapport avec tout patient.

2. L’acte psychanalytique peut être commodément divisé en situation et méthode, l’une et l’autre sont essentielles.

La « situation » est de radicale asymétrie. Celle-ci a pu prêter à tous les malentendus, y compris celui formulé par Ferenczi d’« hypocrisie professionnelle ». On sait que, de nos jours, cette asymétrie a été balayée par l’idée que la position de l’analyste, pas plus que celle de l’observateur en physique n’a droit à aucun privilège. C’est là la fameuse ritournelle « transféro-contre-transférentielle » qui n’est absente d’aucune communication de congrès.

Or, l’invention géniale de la situation analytique ne s’entend bien que couplée avec une conception de la « situation anthropologique fondamentale » (adulte-infans) comme dissymétrie originaire, dont l’autre nom est « séduction ».

C’est seulement par la dissymétrie infantile que s’explique et se justifie l’« insupportable » dissymétrie analytique. La « neutralité » n’est pas primairement refus à l’autre (au patient) d’aide, de conseils, de savoir, etc. Elle ne se soutient que par ce qu’on doit nommer « refusement » interne de l’analyste : peut-être appréhension de ses propres mécanismes inconscients, respect de l’altérité inconsciente et aussi sens de ses limites, ce qui implique une destitution par rapport à toute visée de maîtrise, de façonnement de l’autre, de « poïesis ».

Le transfert, si on veut lui garder une spécificité analytique, ne se conçoit que dans le cadre de cette situation qui replace fondamentalement le sujet au plus près des énigmes qui lui furent proposées dans son enfance. En plus des énigmes de l’autre interne (l’inconscient), c’est le « traitement » des énigmes de l’autre externe (les adultes, les parents) qui est, dans les cas les plus favorables, remis en chantier.

3. La méthode est, comme son nom l’indique, analytique. Elle vise à mettre à découvert des éléments cachés, inconscients ou avoisinant l’inconscient, ou défensifs, dans les dires, les actes et le transfert de l’analysant. En tant que telle, la méthode psychanalytique a une visée de déstructuration. Elle cherche des éléments cachés là où on ne les attendait pas. Elle met à mal des ensembles cohérents sur lesquels toute une vie a pu s’organiser (idéologies, vision de soi et des autres, schémas narratifs, roman personnel, etc.), pour en désigner les pièces disjointes.

La méthode de la psychanalyse est fondée sur la libre association (que l’on peut mieux nommer méthode « associative-dissociative »), sur les interprétations de l’analyste – je veux dire (au sens du texte « Constructions dans l’analyse ») la façon de souligner, de « pointer » la présence d’un élément insolite, voisin de l’inconscient – et sur les reconstructions d’un processus de défense. L’acte psychanalytique est donc dû à l’action conjointe de l’analysant et de l’analyste, unis dans la méthode.

4. À proprement parler, nulle psychothérapie n’a jamais guéri ni nulle psychanalyse. A fortiori cette dernière, si elle prenait l’allure d’un véritable champ de fouilles. Mais ce champ de fouilles est sans cesse réorganisé, reconstitué par le patient. Le seul psychothérapeute est notre « patient » et plus généralement tout être humain qui se constitue dès ses premiers jours comme sujet d’une histoire en se temporalisant, en mémorisant, en « écrivant » ou récrivant son histoire de façon plus ou moins cohérente. « Sujet » donc d’une narration intime, unique ou ramifiée d’ailleurs. (Ceci explique que le seul « compte rendu » de cas véridique soit celui du patient lui-même.)

5. Freud n’a pas dit autre chose (ce qu’on n’écoute plus guère de nos jours) en énonçant que la « synthèse » (dont on lui reprochait de ne pas se soucier) – ce qu’on nommerait aujourd’hui « reconstruction », « structuration », « sujectivation », etc. – n’était pas son lot, et que, comme en chimie, les éléments disjoints avaient toujours tendance à s’assembler de nouveau spontanément. La remarque vaut toujours, non pas comme une formule d’indifférence ou de refus d’assistance, mais comme test de délimitation essentielle entre psychanalyse et psychothérapie.

6. Comment appliquer ce critère aux mille formes contemporaines de pratique se référant ou non à la psychanalyse ?

Au sein de la psychanalyse des névroses telle que nous la pratiquons toujours aujourd’hui, psychothérapie et psychanalyse se côtoient constamment.

Une petite partie du temps et des efforts du patient et de l’analyste vise à « analyser ». J’inclus dans cet acte le « traitement » des défenses, intimement liées aux fantasmes inconscients. La plus grande partie du temps d’une psychanalyse est consacrée à la remise en forme et en histoire de ce que l’analyse a découvert, donc à la « psychothérapie ».

Une mise en histoire à laquelle l’analyste n’est pas étranger, proposant éventuellement des liaisons, des schémas narratifs et partiels, « œdipien », « castratif » ou autres, mais toujours avec prudence. Mais il nous faut cependant souligner que pour Freud, le « devenir conscient » d’un élément inconscient ouvrait, à lui seul, la voie à une nouvelle synthèse. Nous avons, je pense, pris du recul par rapport à cette vue « physicaliste », grâce à des notions comme celles de narrativité, historisation voire subjectivation qui donnent à la « perlaboration » freudienne un contenu bien plus riche, comme étant précisément le temps « psychothérapique ».

7. Résumons encore :

Toute psychanalyse est en grande partie consacrée à la psychothérapie : à l’autohistorisation du sujet, avec l’aide plus ou moins active de l’analyste.

Mais l’acte psychanalytique – parfois bien rare – est autre chose. Œuvre de déliaison, il tente de faire surgir des matériaux nouveaux pour une historisation profondément renouvelée. Après tout, nous ne nous étonnerons pas que le psychanalyste soit aussi prudent et parcimonieux : son travail de déliaison ne s’apparente-t-il pas à celui de la pulsion sexuelle de mort ?

8. Les psychothérapies sont multiples. Le fait qu’elles soient ou non pratiquées par des analystes ou même avec une référence analytique a peu à voir avec leur nature.

a) Il y a les psychanalyses qui risquent de glisser vers la psychothérapie pure et simple.

L’autostructuration, l’autohistorisation persistent, mais travaillent sur un matériau usagé, « de réemploi ». Le résultat n’est pas négligeable, mais les fondements inconscients resurgissent rarement. Pour parler en termes de « traduction », on traduit à partir d’une traduction déjà existante, avec peu de référence au texte original.

b) Bon nombre des psychothérapies menées par des analystes sont dans ce cas, car elles ne se donnent pas d’emblée les moyens méthodologiques permettant de sonder l’inconscient.

c) Je pense que la plupart des psychothérapies dites non analytiques sont dans le même cas. Écouter quelqu’un avec attention et « contenance » lui permet souvent des progrès importants dans son autohistorisation. Les résultats par rapport aux psychothérapies « analytiques » (menées par des analystes) sont comparables, nous disent les statistiques, et il faudrait vérifier sans préjugés. Notons bien que les « évaluations » en question ne prennent pas en compte les psychanalyses menées selon la méthode « analytique »

d) Je laisse évidemment de côté les (psycho ?) thérapies visant à rectifier un comportement névrotique par un véritable dressage (TCC).

e) La psychothérapie des psychoses et des cas dits « borderline » graves pose un tout autre préalable : le problème même de l’indication. Est-on en droit d’aider à « délier » ce qui est déjà en mal de liaison. Ici la perspective change radicalement : le psychothérapeute est convié, semble-t-il, à participer « créativement » à la construction, en apportant ses schémas, voire ses propres matériaux. Son « implication » est maximale, au point qu’on puisse se demander si les cas rapportés ne sont pas des exemplaires uniques, auxquels le thérapeute a consacré la majeure partie de son attention et de son temps. La multiplicité des approches et des théorisations, dans les cas exposés, montre que la plupart du temps c’est l’idiosyncrasie du thérapeute- analyste qui est en première ligne, dans ses fondements inconscients, ses valeurs, son existence même. Autant de thérapeutes de psychoses que d’individus, et les théories font peu de poids car elles ne font guère qu’habiller une pratique avant tout individuelle.

J’ajouterai ici un bémol : aucun aliéné ne l’est totalement ; il existe toujours en lui une part névrotique, refoulée (cf. Freud : « Le clivage du moi »). Dans cette mesure, l’analyse précautionneuse de cette part névrotique peut avoir un effet d’entraînement sur l’ensemble de la personne y compris sa part psychotique (voir mon schéma in « Trois acceptions du mot inconscient dans le cadre de la théorie de la séduction généralisée »).

Conclusion

J’ai voulu surtout montrer que psychanalyse et psychothérapie ne sont pas des domaines séparés mais que dans toute psychanalyse, il y a forcément de l’analyse et de la psychothérapie.

« Je le pansai, Dieu le guérit. » Je transposerai :
« Je débridai ses plaies, il les cicatrisa à sa façon. »

 

Notes

  1. [*] Publié dans Le Carnet psy, 108, mai 2006. Réponse à une enquête coordonnée par D. Widlöcher.
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Psychanalyse et psychothérapie