Une simultanéité contradictoire
« Je suis devant ta mort comme devant une énigme », écrit Christian Bobin, dans La Plus que vive1. Comme Œdipe devant le Sphinx, Freud se heurtait à cette énigme : « Le deuil est une énigme, un phénomène qu’on ne tire pas au clair et qui ramène à des choses obscures2. » Il l’a rappelé à plusieurs reprises : « La réalité prononce son verdict : l’objet n’existe plus3. » Or le verdict de la réalité qu’est la mort de l’autre ne suffit pas à comprendre ce qu’est cette mort. Freud pose en effet que « la raison de l’état de deuil reste une énigme pour le psychologue4 ». Dans L’interprétation des rêves, il évoque un mot d’enfant : « A ma grande stupéfaction, un enfant de dix ans, très intelligent, me dit après la mort subite de son père : “Je comprends bien que mon père est mort, mais je ne peux pas comprendre pourquoi il ne rentre pas dîner”5. » L’autre continue d’être attendu, entendu, l’autre continue d’exister psychiquement, sa réalité se poursuit, on lui parle, l’invoque, le voit parfois au détour d’une rue. « L’épreuve de réalité a montré que l’objet aimé n’existe plus et édicte l’exigence de retirer toute la libido des liens qui la retiennent à cet objet. Mais la tâche qu’elle impose ne peut être aussitôt accomplie. En fait, elle est accomplie en détail, avec une grande dépense de temps et d’énergie d’investissement, et pendant ce temps, l’existence de l’objet perdu se poursuit psychiquement.6 »
Cette « compréhension » simultanément contradictoire fabrique un espace d’entre-deux. Comprendre et ne pas comprendre, se tenir sur le fil de crête, un entre deux, entre le Réel qu’est la…