« C’est toi qui fais tout mon malheur ! Que le diable t’emporte ! Tu as détruit ma vie ! C’est toi qui es responsable de tout ! Tu es ma mort ! Tu es un rien du tout ! J’ai honte de toi ! […] Tu ne vaux rien ! Semeur de brouille ! Menteur ! »
C’est ainsi que Thomas Bernhard raconte comment, à la moindre occasion, sa mère tapait sur lui, en prenant le nerf de bœuf, avec ces invectives, toujours les mêmes… D’emblée cette séquence invalide la fameuse assertion freudienne selon laquelle la mère n’éprouverait pas d’ambivalence, pas de haine à l’égard de son fils. Winnicott au contraire a insisté sur les raisons pour lesquelles une mère hait son enfant, même un garçon1 : sa cruauté, le danger pour son corps pendant la grossesse et la naissance, sa tyrannie, son ingratitude, l’excitation et la frustration qu’il produit en elle…
Mais la clinique nous donne moins souvent à entendre la haine de la mère pour son bébé que la haine de l’enfant ressentie et interprétée par sa mère. Voici une brève séquence clinique pour introduire mon questionnement :
Une jeune femme souhaite entreprendre une analyse en motivant cette demande, dès le premier entretien, par sa crainte d’être rejetée par sa fille de 2 ans, qui préfère ostensiblement son père et l’évite même parfois… Elle exprime avec une intense émotion sa terreur de sentir monter en elle des sentiments de haine à l’égard de sa fille, qui par ailleurs va très bien.
Après quelques mois d’analyse, elle me dira lors d’une séance que sa fille s’est détournée d’elle après une phase très heureuse d’allaitement, lorsqu’elle a repris le travail…